Madame la Marquise, bien droite dans ses bottines, avisait la foule de son œil aiguisé. Pâle, maquillée sobrement et parée d'une robe noire stricte, elle ne dévoilait en rien son corsage. Quoi qu'il en soit, à son âge, plus personne ne s'intéressait à ce qui avait sous le tissu.
Le dernier à avoir eu un intérêt pour la chose était dans le cercueil à côté d'elle. Plus fardé qu'elle pour lui conférer un air de vivant, monsieur le Marquis de la Rose affichait cet air calme qu'elle avait tant aimé. Néanmoins, il ressemblait toujours à une vieille pomme ridée. Le thanatopracteur n'avait rien pu faire pour son âge, ce qui était passablement normal.
Serrant une main affable, affichant un sourire triste de bon aloi, la Marquise de la Rose se dit qu'elle avait plus envie de cracher à la figure de tous ces hypocrites plutôt que de leur offrir le banquet des funérailles en honneur de son époux.
Charles, songea-t-elle, je souhaite qu'ils crèvent tous d'indigestion en ton nom !
Néanmoins, le titre impliquait des devoirs, même ceux qui pompaient l'air aux récentes veuves. Pas jeunes veuves, étant donné l'âge de la Marquise, mais veuve récente tout de même. En parlant de vieille pomme ridée, elle était pas mal dans son genre. Néanmoins, Charles avait toujours aimé les marques du temps sur son visage et son corps. S'il n'était plus aussi ferme qu'avant, il avait toujours aimé le palper, et ce jusqu'au bout. Cela lui avait valu sa mortelle crise cardiaque, d'ailleurs.
Bref, veuve éplorée, mais caractérielle, la Marquise considérait les six cents personnes venues honorer la mémoire de son époux, décédé trois jours plus tôt. Dans tout ce ramassis de profiteurs, il y avait des fortunés, des titrés, des conseillés du roi, des membres de la justice, de religieux, des domestiques et même le boulanger qui faisait du si bon pain. Son mari avait toujours été fort apprécié.
Placée sur l'estrade à côté du cercueil, elle serra une deux centième main.
Où était son fils ? Sa fille ? Sa petite fille ? Nul ne le savait, et cela commençait à passablement l'irriter. À sa connaissance, ils se trouvaient à une journée de la demeure familiale parisienne. Foutrebleu, en trois jours ils auraient largement eu le temps de venir ! Qu'ils soient occupés à vivre, c'était une chose !
Qu'ils ne viennent pas honorer la mémoire de leur père, c'en était une autre !
Dès que tous ces rats auront versé leur dernière fausse larme, je m'en vais leur botter les fesses, se jura-t-elle, furieuse.
Néanmoins, le lendemain soir, le spectacle du salon ravagé de son fils, puis celle de la maison brulée de sa fille, fit ressurgir quelque chose de létal en elle.
Un instinct maternel qui, en dépit de ses soixante-quatorze ans, allait faire des ravages.
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La Colère de la Rose
ActionL'instinct maternel était une chose forte. Terriblement forte. Rose de la Rose n'allait pas dire le contraire, pas plus que ceux qui avaient osés touchés sa famille.