Chronique d'un voyage Outre-Temps.

Chapitre introductif

«Coquelicot...Embrouillamini...Rutabaga...Nyctalope...Bourrichon...Topinambour... Rhododendron... Zygomatique... Carrousel... Bougainvillée... Profiterole... Baragouin... Pipistrelle... Esperluette... Cucurbitacées...». Le vieil homme, confortablement installé au fond de son large fauteuil accentuait chacun des mots qu'il prononçait d'un sourire malicieux avant de reprendre son discours enjoué. « J'ai toujours aimé les mots, et plus encore les histoires qu'ils nous racontent. Celle que je m'apprête à vous dévoiler est plus extraordinaire encore que tous les contes et aventures que vous avez pu lire, écouter ou même imaginer ; tout aussi extraordinaire qu'elle est véritable, je vous l'assure. Les sourires qui, déjà, naissent, sur vos visage vous trahissent. Je vous entends vous demander quelle farce le vieil homme que je suis devenu va encore vous raconter. Mais cette fois, mes chers enfants, croyez-moi, il n'est pas question de récit légendaire, d'épopée fantasmée, de monstre extraordinaire mais bien d'un long et lointain voyage que j'ai réalisé moi-même durant mes jeunes années.

Je venais de fêter mes trente ans, mon second roman, tout juste publié, avait déclenché une étonnante ferveur. Mon éditeur, sans doute plus friand de ce succès que je l'étais moi-même, me rappelait chaque jour qu'il me fallait écrire à nouveau, pas pour lui, pas pour moi, mais pour le public. Je compris, bien plus tard, que le poids que représentait mes livres dans son précieux portefeuille lui rendait mon écriture bien plus indispensable qu'elle ne l'était aux lecteurs qui, finalement, pouvait aisément s'accommoder de mon absence. Mais toute tentative de lui faire entendre raison s'avérait vaine. Je tentais, pourtant, de déployer tout l'éventail des arguments dont je disposais. Je m'efforçais, ainsi, d'attirer son attention sur la nature imprévisible des mots, soulignant qu'il importait de ne pas les brusquer, de leur laisser tout le loisir de s'entremêler car c'est bien de leurs hasardeux entrechocs que naît la magie des histoires qu'ils racontent. Mais rien ne semblait pouvoir le détourner de son dessein de ravir le monde d'une nouvelle œuvre fantastique. Alors je me pliais à ses injonctions. Craignant de ne plus jamais avoir la chance de raconter mes histoires à tous ceux qui souhaitaient les découvrir, je m'asseyais chaque jour à mon bureau. Des heures durant, je laissais à mon esprit l'espace de s'envoler à la recherche d'aventures exceptionnelles et de curieux personnages dont les péripéties passionneraient les foules. Pas une fois la quête fut fructueuse. Je m'inventais des muses, me perdais dans des paysages fabuleux, voguais sur des flots chimériques, mais aucun de ces voyages oniriques se transformaient en un passionnant récit à révéler aux yeux du monde. De jour en jour, les mots semblaient, au contraire, me fuir davantage un peu plus, et m'emportaient dans une quête obsessionnelle. Eux qui, d'ordinaire m'apparaissaient si bavards, s'étaient épris du silence. Un mutisme éloquent. J'avais perdu les chemins de l'enchantement. Et c'est mon être tout entier qui, dans cet errement, semblait s'être égaré. Mais, alors que je m'apprêtais à renoncer, un événement bien étrange se produisit.