Porté par la poésie,
Il oublie.
Envahi par ce poème,
Il aime.Le bleu de ses yeux est fade,
Il a le teint maussade.
Dans sa tête règne une tirade.
Un texte, une ballade.Des notes mélancoliques
Parcourent son âme romantique.
Son sourire s'estompe sous une gomme grisâtre,
Et sa voix disparaît derrière le grand rideau du théâtre.Il ne lui reste que trois minutes avant d'entrer en scène
Et d'incarner ce personnage envers lequel il n'éprouve que de la haine.
Réussira-t-il à être convaincant,
À ne pas laisser paraître ses tourments ?Lentement, le comédien range son walkman
Et enfile le costume cousu par cette gitane.
Il repense à cette dame qu'il avait vue la veille, indécis.
Elle n'était que merveille et l'avait conquis.Il ne connaissait rien de cette demoiselle,
Si bien que lorsqu'il parlait d'elle,
Il racontait qu'elle s'appelait Isabelle
Et qu'il la trouvait très belle.La pièce commence,
Le comédien joue avec peu d'aisance
Et malgré les apparences,
Il suit la cadence.Isabelle avait promis qu'elle serait présente.
Elle est là, mais la personne qu'elle aime n'est absente.
Ils sont au fond de la salle
Et regardent attentivement une scène de bal.La fin de l'œuvre s'annonce,
Et le cœur piqué par d'imaginaires ronces,
Le comédien regarde Isabelle embrasser Thibaut.
Ce soir-là, et peut-être pour toute une vie, il est son Roméo.Peiné, le comédien quitte la scène.
Isabelle n'y voit que du feu : ses collègues sortent au même moment, tandis que l'homme au cœur brisé s'imagine verser des larmes sur la Seine.
Il se munit de ses affaires et part se promener dans les rues de Paris,
La tristesse pour seule compagnie.Il marche, le regard vers l'horizon.
Il voit ces filles, ces garçons...
Le comédien veut s'échapper,
Oublier celle qu'il a imaginée en tant que divinité.Ses cheveux se soulèvent sauvagement dans le vent,
Ses mains se refroidissent soudainement.
Un bracelet tombe de sa poche et s'envole sous les nuages noirs.
Isabelle s'efface aussitôt de sa mémoire.Le comédien jette sa montre au loin.
Il se libère des liens du quotidien.
Il hurle à en perdre la voix,
À faire trembler les lourds toits.Il piétine son costume
Et laisse couler des larmes d'amertume.
Son cœur se consume,
Il se sent léger comme une plume.L'homme laisse mourir son masque.
Il devient quelqu'un et abandonne ses frasques.
Sa carrière de comédien est finie
Car sa vie d'humain commence aujourd'hui.