Chapitre 1

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Je ne pensais pas qu'une simple rencontre pouvait bouleverser le cours d'une existence et remettre en cause tous ses fondements. Ma vie était un édifice que j'avais construit avec des certitudes. Tout a changé en l'espace d'une seconde. Comme une pierre jetée dans l'eau dont l'impact provoque des vibrations sur plusieurs kilomètres. Je me croyais tranquille sur ma barque. Admirant d'un côté l'horizon clair du futur et de l'autre, les terres du passé qui s'éloignaient. C'était une ligne droite animée par des tempêtes auxquelles je faisais face. Bon an, mal an.

J'avais oublié que la vie était imprévisible et qu'elle avait un sens qui pouvait nous échapper jusqu'à ce qu'il se découvre dans une singulière évidence. Une sorte de révérence. Un vendredi soir, j'ai pris une décision qui allait marquer ma vie d'homme. C'est peut-être la première fois où je me suis vraiment senti responsable.

Avant. Après. La métamorphose. C'est étrange. Comme si le passé n'avait jamais existé. Comme si une mue de l'intérieur m'avait fait oublier ce qui faisait mal. Le hasard n'existe pas. J'en suis maintenant persuadé. Tout s'explique. Dans les moindres détails. Il suffit de voir. En un claquement de doigt, j'avais recouvré la vue. Ça peut sembler fou et pourtant c'est vrai. Je me suis affranchi d'un poids lourd.

Je m'appelle Pierre. Comme mon grand-père paternel. Et je suis le 2eme d'une fratrie de 4 enfants.

Je suis né le 13 mai 1983 à 23h30. Ma mère a senti les premières contractions au journal de 20h sur Antenne 2 présenté par PPDA. A 21h, mon père l'emmenait à la maternité.

Elle hurla pendant le trajet tout en intimant à mon père de se taire alors qu'il ne disait rien. 

La douleur prenait toute la place, même celle du silence.

Après quelques contractions, son col était ouvert à 8. Après quatre autres, j'ai jailli tel un zébulon pour pousser mon premier cri à 22h. Pour une première, ce fut rapide.

Je suis resté accroché au sein de ma mère toute la nuit. C'était la pleine lune. Ma mère me racontera la même histoire chaque année pour me souhaiter mon anniversaire.

Elle s'émerveillait d'avoir fait un garçon. Un petit être humain du sexe opposé à elle. Cette nuit-là, elle resta éveillée malgré la fatigue. Elle me contemplait. Elle veillait sur chacune de mes respirations tout en me chuchotant tendrement « Mon fils, c'était une belle journée pour naître". Mon autre frère Jérôme naîtra deux ans plus tard et ma petite sœur Mina cinq ans après.

35 années s'étaient écoulées. 35 années que je n'avais pas vues passer. Quand j'étais enfant, je voulais à tout prix être grand. Etre libre comme tous ces adultes. Je voulais qu'on me prenne au sérieux. Qu'on arrête de me catégoriser dans la case enfant. Je me mesurais régulièrement sous la toise marquant au crayon à papier les centimètres sur le mur comme de précieux trophées acquis. Je donnerais n'importe quoi pour remonter le temps et retrouver cet état d'esprit. J'aimerais sentir encore le parfum de cette insouciance oubliée. 35 années bien remplies pendant lesquelles j'ai été choyé, éduqué et formaté dans une famille tendre et aimante. Une famille de classe moyenne supérieure. Sans histoires. Ou très peu. On n'a jamais aimé le désordre dans ma famille. On aime ce qui ronronne. Que tout aille bien. Mais sans être dans le non-dit. Bien au contraire. On n'est pas des taiseux dans la famille. Ma mère a toujours attaché un point d'honneur à la parole. A la verbalisation de nos émotions. La parole devait circuler. Peu importe ce qui était dit. Nous devions accueillir avec bienveillance les ressentis de tout le monde. Il n'y avais pas de tabous, pas de barrières. 

Nous avons habité une grande maison avec un immense jardin dans la banlieue Est de Paris. Je repasse souvent devant en vélo. Et à chaque fois, les souvenirs remontent. Comme une vague. J'entends les cris de joie, la musique des samedis soirs. Je revois nos rires, nos larmes, nos jeux d'enfants. Et puis, le drame.

Une nuit à rêverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant