10 Manque de chance

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"Babe, you can see that I'm danger. Glamorous, but I'm deranged, yeah !"
Lana Del Rey, Kinda Outta Luck

Chéri, tu vois bien que je suis un danger. Glamour, mais dérangée, ouai !

***

Rien ne peut me mettre plus de mauvaise humeur que les derniers mots désobligeants de mon frère avant que je ne m'enferme. La nuit a été longue. Très longue. Même mes cours n'ont pas su calmer ma colère sous-jacente. Et comme si tout se coordonnait pour me casser les pieds ce matin, je brise la tasse que je me prépare, puis réalise que le paquet de café est vide. Il me faut donc arpenter l'appartement voisin pour obtenir ma dose d'énergisant. Quelle piètre journée cela promet.
L'automne est assez clément pour me permettre d'arborer des tenues légères comme cette petite robe noire, d'un classique français toujours séduisant. Mes escarpins claquent sur le parquet sans que je ne me soucie de les laisser à l'entrée et attire l'attention de la cupola au complet. Ugo a donc survécu à la colère de son patron. Ce qui est plutôt bon signe pour les adeptes des erreurs comme moi. Il y a donc un espoir.
Leurs regards se concentrent sur la partie inférieure de mon corps, là où un collant résille habille mes jambes sans pour autant les étouffer. Quelque chose me dit qu'ils vont bientôt me demander le nom du magasin qui le commercialise.

— C'est une tenue pour aller étudier, ça ? s'exclame Gianluca.
— Il est défilé, ajoute Enzo en pointant du doigt l'arrière de ma cuisse.

L'évidence me saute maintenant aux yeux et me fait considérer le besoin de changement alors que je suis déjà en retard. Il faut savoir faire un choix. Les cours ou la mode.

— Ce n'est pas grave. Je le retirerai dans la voiture.

Ma décision ne semble raisonnable puisqu'elle soustrait un élément attrayant de ma tenue, mais rien n'est jamais suffisant pour le grand Gianluca Ceon. Surtout quand il a décidé de me pomper l'air.

— Je crois que tu ne m'as pas bien compris.
— Bonne journée, Don Gianluca, il magnifico, le coupé-je avec insolence. La vie réelle m'attend. Essaye de n'enfermer aucune gentille fille dans ta tour d'ivoire. La Dark Romance perd de son charme lorsqu'elle empiète sur la vie réelle.

Ugo est bien le seul à ricaner de mon effronterie avant de faire passer cela pour une quinte de toux. Je dérobe la tasse sur la table basse et oublie la brûlure provoquée lorsque le liquide s'écoule dans ma gorge. À en croire le regard assassin d'Enzo, c'est à son bien que je m'en suis pris et cela ne peut que me réjouir. La pomme qu'il tient entre ses mains devient mon objectif et c'est sans vergogne que je me plante entre ses jambes ouvertes pour la récupérer. Le sottocapo n'a rien de vulnérable, affalé dans le fauteuil, connaissant ses aptitudes au combat, mais son absence de réaction me plait alors que je le détrousse de son fruit et quitte les lieux fièrement.

— Je rêve ou elle se prend pour un caïd, entends-je mon frère s'exclamer.

Ses remarques ne me touchent guère. Je suis si remontée que je pourrais me lancer dans une mêlée sans aucune chance de m'en tirer. Mais le karma a décidé de me sourire devant mon imprudence. Une fois au pied de l'immeuble, je découvre le jeune Jino, chargé de ma protection du jour en compagnie d'un gros bras non identifié. Sa fraicheur me satisfait, surtout lorsque je me remémore nos discussions d'il y a quelques jours.
Je n'ai pas pour habitude de me pencher sur les noms des hommes qui agissent pour le clan, car beaucoup disparaissent rapidement. Le milieu mafieux n'est pas connu pour sa longévité, surtout lorsqu'on traine au bas de l'échelle. Mais ce petit-là, j'l'aime bien. Il a une tête sympathique qui me plait et une conversation qui change de l'habituelle distance qu'on m'impose. À croire que tous craignent de finir comme MJ.
La pensée de mon premier petit ami me plonge dans une nostalgie douloureuse. Que penserait-il de ce que je suis devenue ? Encore hier, j'arpentais les étages de mon bâtiment sans trembler devant la vue d'un cadavre. Le constat ne pourrait être qu'alarmant. Pourtant, je chasse cette réalité de mon esprit pour ne pas me laisser abattre.
Les cours prennent une allure supportable avec Daniele qui se satisfait de la vue masculine du jour, avant qu'il ne m'abandonne lâchement à l'entrée de la bibliothèque. Mon meilleur ami aura beau me parler de sa claustrophobie, je reste persuadée que ce sont les études qui le mettent mal à l'aise. Je prends donc place sur une table parmi tant d'autres et jette des coups d'œil à l'étage. La coupole ouverte permet de distinguer chaque zone consacrée à une matière différente. La sociologie est une nouvelle fois boudée par les étudiants, ce qui me laisse à penser que Tore pourrait s'y trouver.
Ma stratégie pour me débarrasser de ma garde rapprochée est d'accumuler les va-et-vient jusqu'à ce qu'ils se lassent de ces petits trajets.

Mafiosa , l'empire des Ceon (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant