« Il m'a fait monter sur la région parisienne au camp de Drancy, puisque c'était le camp qui regroupait tous les Juifs qui devenaient des déportés, et qui étaient déportés directement en partant de Drancy dans les camps de la mort, les camps d'extermination. J'y ai retrouvé mon père qui était interné depuis un an. C'était en août 1941, moi je suis arrivé en août 1942. Vous pouvez imaginer qu'elles ont été la souffrance et la douleur d'un papa enfermé depuis un an lorsque d'un seul coup on vient de lui annoncer "tu as trois de tes enfants qui viennent d'arriver au camp". Pour lui, cela a été une douleur épouvantable. » .
Stupéfaite, face à ses paroles, je ne savais pas comment réagir. Sa simple présence ne m'avait jamais bouleversé à ce point. D'habitude, je me contentais de l'ignorer, voire d'être glaciale avec lui et là, je ne savais plus quoi faire, face à cet être qui semblait brisé de l'intérieur. La proximité de nos deux corps, passant à la trappe. J'étais tellement surprise que plus rien ne comptait que ses pleurs au creux de mon cou et ses paroles qui tournaient en boucle dans ma tête. Que voulait-il dire par « ne me déteste pas » ?
Il ne pouvait pas en être autrement. Il était l'ennemi. Le fils de chien à abattre. Et pourtant en cet instant présent, je ne ressentais qu'une peine immense. Sa fragilité me chamboulant bien malgré moi, et ce un peu trop. Mais ne pouvant décemment pas le consoler, je restais immobile, les bras le long du corps. Attendant qu'il se calme. C'était déjà bien suffisant selon moi.
- Désolé. S'exprimait-il, la voix enrouée, me sortant de ma torpeur.
Sans rien attendre en retour, il me laissait là, ses larmes enfin taries. Toujours dans l'incompréhension la plus totale. Je ne reprenais pied avec la réalité, que quelques minutes après qu'il soit parti. Quel était son but ? Que cherchait-il à me montrer au travers de ces paroles ?
Il ne pouvait pas me sortir ça comme ça et me laisser en plan juste après, sans même m'avoir donné une explication. Son comportement n'était pas logique. Il défiait même toute conduite normale que ce devait d'avoir un Allemand. Il ne pouvait pas éprouver de la tristesse, un dégoût de soi aussi profond. Qui es-tu réellement Natsu Dragnir ?
Cette question ne cessait de me hanter, les jours qui suivirent cet échange. J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouvais pas d'explication possible à cette attitude. La seule qui me semblait possible était qu'il soit instable mentalement. Après tout, la guerre peut provoquer des choses étranges sur les hommes.
Bien sûr, je ne parlais de cet épisode à personne. Ils ne pourraient pas comprendre. Je ne comprenais pas moi-même. Pourtant quand les filles me demandaient comment ça se passait avec lui, je ne pus m'empêcher d'émettre l'hypothèse qu'il n'était pas aussi mauvais que ce que l'on pensait.
- Voyons Lucy, revient à la raison deux secondes, c'est un Allemand. Il ne peut pas être quelqu'un de bon par nature. S'énervait Erza, s'offusquant de mon ignorance.
- Je sais, mais imaginons qu'il n'est pas celui que l'on croit. Tentais-je de ma faible voix, incertaine.
- Lucy... Je ne sais pas ce qu'il t'a fait, mais tu ne peux pas décemment le défendre et prétendre vouloir m'aider et être mon amie, par la suite. S'exaspérait Levy, en écoutant mon discours vide de sens.
Les paroles de Levy me firent mal. Me heurtant en plein cœur, j'eus l'impression que l'on venait de me couper le souffle. Je réalisais alors que ma curiosité et mon attraction aussi morbides étaient-elles pour Natsu, risquer de me faire perdre mes amies. Elles avaient raison, on était en temps de guerre et jamais il ne sera l'un des nôtres. Jamais. Alors pourquoi je doute ? Pourquoi ne peut-il pas sortir de ma tête ? Il devait arrêter de m'obséder. Pour moi et pour elles.
Je pris alors la décision de redevenir celle que j'étais avant, l'ignorante. Et cela marchait plutôt bien. Enfin ça, c'est ce dont je voulais me persuader. Natsu continuait de hanter mes nuits, me tournant et me retournant dans mon lit. J'avais l'impression de faire face à un mystère que je devais résoudre. Et à chaque fois, la même conclusion revenait, il manquait une pièce au puzzle. Ou alors je devenais complètement folle et c'était son but. Me persuadant que cette solution était la bonne, je fis abstraction de son air abattu et je continuais ma vie aussi abjecte soit-elle.
Je ne sais, si c'est le fait que les Allemands prenaient conscience que la résistance se montrait de plus en plus forte, mais il devenait de pire en pire. Plus arrogant, plus avenant. Je ne comptais plus le nombre d'offenses que je subissais par jour. Ce dont j'arrivais à faire obstacle avant, me terrifier de plus en plus, chaque jour qui passait. Il arrivait, que certains d'entre eux me frôlaient, ou me glissait des mots salaces à l'oreille. Dans ces moments-là, je me recroquevillais sur moi-même, espérant me faire la plus petite possible, voire devenir invisible. Mais cela ne marchait jamais. Après je m'estimais heureuse de vivre en ville, où seuls les plus civilisés vivaient. Ceux m'offensant n'étant qu'une minorité par rapport aux nombres d'occupants. Ça restait malgré tout une horreur de devoir subir cela.
Cependant, je me reprenais toujours, me disant que ce que je vivais n'était rien par rapport, à ce que devait subir Levy chaque jour. Les soldats allaient jusqu'à lui cracher à la figure quand ils la voyaient. Elle n'en dormait plus la nuit. Supportant de moins en moins cette vie. On essayait de trouver de quoi la soulager, lui rendre le sourire avec les filles. Mais quoi ? On était en guerre et l'humour n'avait plus sa place dans notre vie, et ce depuis notre défaite écrasante face à l'armée d'Hitler. Alors, on faisait tout notre possible pour l'aider. Le seul problème c'était que tout le monde avait besoin d'aide.
Je le compris bien rapidement. Même moi j'avais besoin d'aide. Un jour, deux Allemands un peu ivres me coinçaient dans une rue, une idée bien précise en tête. Je me souviens avoir crié, hurlé espérant que quelqu'un m'entende. Pendant qu'eux se faisaient plus présents, plus avenants. J'étais blonde, l'être parfait à leurs yeux. J'allais devoir en payer le prix. Et alors que j'étais à même le sol, des torrents de larmes dévalaient sur mes joues, mes genoux contre moi en guise de protection, mes vêtements en lambeaux. Je me faisais une raison, m'attendant au pire, qui ne vient jamais. Devant moi, se dresser un homme aux cheveux roses, racontant je ne sais quoi à ses deux acolytes. Ne comprenant pas leur langue, je me recroquevillais encore plus. Essayant de calmer mes tremblements. J'aurais pu m'enfuir, j'aurais dû m'enfuir. Seulement la peur me clouait à même le sol, broyant mes entrailles.
Et alors que j'avais baissé la tête, cachant mes yeux brouillaient de larmes à la vue de tous, je sentis une légère pression sur le haut de mon crâne. Natsu s'était abaissé à ma hauteur, son regard onyx se voulait rassurant. Je cherchais en paniquant les deux autres soldats. J'eus la surprise de ne plus les voir dans mon champ de vision. Il les avait fait fuir. Je m'écroulais alors dans ses bras, le remerciant pour ce qu'il venait de faire. Ses bras et son torse chaud, m'apportant le réconfort dont j'avais besoin. Honteuse de me sentir aussi bien, je n'y fis pas grand cas, le choc des événements récents m'enlevant toute notion du temps et surtout toute rationalité.
Pour ce qui est de la suite, j'eus l'impression d'être spectatrice. Je me sentis soulevé du sol et transporter. Je ne sais comment on arrivait à la maison. Je me souviens juste du visage effrayer de mon père et de ses larmes quand Natsu lui contait ce qui s'était passé. Je vis le désarroi, la culpabilité se peindre sur son visage, tout comme l'incompréhension. Il ne saisissait pas le comportement de ce soldat une fois de plus et cela le perturbait. Pourtant, il lui en fut reconnaissant.
Les jours qui suivirent furent extrêmement compliqués pour moi. Je faisais des crises d'angoisse, où je hurlais, me débattais contre des démons invisibles. Bien que mon père ait décrété que je n'irai plus jamais en ville toute seule, que je serais forcément accompagné d'au moins une de mes amies ou de lui. Je n'arrivais pas à franchir ce traumatisme. Je me muais dans un silence pesant, imaginant toujours ce qu'il se serait passé si Natsu n'était pas arrivé à temps. Refusant de sortir de chez moi, mes amies durent venir me voir. Même Levy fit l'effort de venir. Bien sûr, elle, néanmoins sa présence m'était nécessaire, elle m'aidait à aller mieux. Même si tous les soirs je faisais ce même cauchemar, revoyant le visage de ces hommes.
Je crus que je n'arriverai jamais à me sortir de cette léthargie qui était devenue la mienne. Jusqu'à ce jour. Le huit juin, une déportation massive de juifs allait avoir lieu. Levy et sa famille, qui avaient toujours été épargnées jusque-là, car vivant dans la campagne, allaient y passer. Je ne sais comment mon père eut cette information, mais à ce moment précis la panique s'empara de moi et je sortais enfin de ma transe pour revenir parmi le monde des vivants. Nous devions l'aider.
Nous n'avions rien pu faire quand ils étaient venus chercher le beau-père de Mirajane. Hors de question que l'on reste sans rien faire une fois de plus. Ils ne nous l'enlèveraient pas. Pas comme ça.
Je ne sus exactement comment tout ceci se produisit, très rapidement une évacuation se mit en place. Mon père avait raison depuis le début, ils devaient fuir. J'avais refusé de le croire, espérant qu'elle serait épargnée, qu'elle resterait avec nous. Mais non, ils allaient nous l'arracher, l'envoyant elle et ses parents dans un de ces camps de malheur, l'enfer sur terre. Ils ne méritaient pas ça, s'étaient des gens bien. Levy avait encore tellement de choses à vivre, à découvrir.
Sans qu'on se dise rien, tout le monde se portait volontaire, voulant les aider à fuir. Mon père réussit à leur trouver des faux papiers rapidement. Les parents d'Erza qui travaillaient au port trouvèrent quelqu'un qui accepta de les prendre et de les amener jusqu'au Portugal. Mira, Erza et moi on se chargerait de les mener jusqu'au bateau. Nos parents avaient refusé dans un premier temps, avant de comprendre que rien ne pourrait nous empêcher d'y aller. C'était notre amie, il était de notre devoir d'être avec elle jusqu'au bout et si nous devions mourir aujourd'hui alors que ce soit pour nos convictions.
Le temps d'un instant, je redevenais résistante. Je ressentis alors cette montée d'adrénaline et cette peur qui me caractérisait quand j'emmenais les réfugiés jusqu'à la frontière. Mira et Erza ressentaient aussi cette peur, mais elles voulaient le faire. Pour sa famille. Parce que l'amitié c'est tout ce qui nous restait dans ce monde pourri jusqu'à la moelle. Et si l'on n'était même plus capable d'aider ses amis alors que sommes-nous ? Pourrions-nous seulement nous regarder dans le miroir en sachant que l'on aurait pu faire quelque chose, mais qu'on n'a rien fait par peur, par soumission ? Non. On n'était pas de cette trempe-là et tant pis si ça signait notre arrêt de mort, de toute façon l'on était condamné tant que ces monstres resteraient sur notre sol.
Le plan se mit en place très rapidement, il n'y avait même pas de réelle préparation. Ça s'apparentait plus à un acte désespéré, qu'à un réel sauvetage. Mais nous devions le faire, parce qu'il s'agissait de Levy.
Le jour de sa fuite arriva tout aussi vite. L'on était la veille de la déportation et déjà les soldats commençaient leur sale boulot, les mettant en cage tels des chiens. Rien que d'y penser, j'avais des hauts le cœur. Bien malgré moi, l'effroi me prit quand mon père nous amena en ville. Je n'étais pas sorti de chez moi depuis mon agression et sans que je le veuille, les souvenirs refirent surface, m'arrachant un frisson d'angoisse. Mais je me repris bien vite, sentant la frêle poigne que Levy exerçait sur ma main. Je lui lançais alors un regard la sondant. Elle était morte de peur, transpirant à grosses gouttes. Sa peau déjà pâle d'ordinaire, s'apparentait désormais à celle d'un cadavre. Se mordant la lèvre inférieure jusqu'au sang, elle était pétrifiée. Voyant sa détresse s'agrandir au fil des minutes qui passaient, je pris sur moi, oubliant ma crainte. Aujourd'hui, c'est elle qui comptait.
Une fois en ville, on fut rejoint par Mira et Erza qui m'aidaient à ramener Levy parmi nous. Elle était tellement effrayée qu'il était impossible de la bouger, ce fut son père qui la secoua, lui rappelant qu'il serait peut-être libre avant la fin du lever de soleil. En effet, le jour pointé à peine le bout de son nez, comme l'espoir d'un renouveau, d'une vie après cet enfer.
Ni une ni deux, l'on s'enfuit, passant par les ruelles les moins fréquentées, ralentissant notre progression, mais l'assurant également. Le souffle court, l'incertitude, l'angoisse nous saisissant. L'on marchait le plus rapidement possible, courant parfois lorsque des voix de soldats se faisaient trop présentes. Si l'on se faisait prendre, il en était fini de nous. L'affolement présent dans les yeux de chacun, on ne se quittait pas du regard. Mon cœur cognant dans ma poitrine raisonnait tel un chant funèbre à mes tempes. L'adrénaline rendait mes muscles lourds, mes entrailles n'étaient plus que nœud et tiraillement. Chaque pas, que nous faisions, était une torture, chaque embranchement un mystère, un saut dans le vide. Avec au bout de cette route, leur futur.
Futur qui vola en éclats, quand l'on dut traverser une place et que des bruits de pas se firent entendre, accompagnés d'ordre hurlé en allemand. Coincer, il en était fait de nous. On ne pouvait pas revenir sur nos pas. Sans se faire prendre et l'on était dans l'incapacité d'avancer. Se fixant certainement pour la dernière fois, je crus défaillir en voyant un soldat à la chevelure rose si caractéristique sortir devant nous. Se réfugiant dans les bras de son père, Levy se mit à sangloter, tandis que moi je le fixais espérant qu'une fois de plus il me vienne en aide.
Par pitié, Natsu, montre-moi que j'ai raison, et que tu n'es pas comme les autres. Prouve-moi que j'ai bien fait de te défendre devant les autres. Dis-moi que je n'ai pas tort, que je ne suis pas folle.
- Sauve-nous... S'il te plaît. M'entendis-je murmurer, avant d'être emmené.
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Fruit de guerre
Fiksi PenggemarReposte d'une de mes anciennes fanfiction que j'aime beaucoup, elle date d'il y a quelques années mais je l'aime toujours autant. 1940, la France a perdu, elle est vaincue par les forces allemandes. Mon père et moi devions nous plier aux nouvelles r...