Au beau milieu de nulle part [bxb]

1.

Quand Tristan se lève le lendemain, la matinée est déjà bien entamée.

Toute sa famille est déjà réveillée. Sa mère et sa grand-mère sont en pleine discussion sur la terrasse, allongées sur des chaises longues alors que le soleil commence déjà à taper. Son père, installé sur le grand fauteuil vert dans le salon, est plongé dans la lecture du journal local et ne le remarque même pas passer.

Avec un soupir, Tristan se laisse tomber sur une chaise dans la cuisine, à côté d'une de ses sœurs. Sans un mot, il se sert un verre de jus d'orange et se coupe un morceau de pain.

- Tu peux me passer la confiture s'il te plaît ? »

Sa sœur le regarde d'un air imperturbable et lui répond froidement :

- Bonjour, peut-être ? »

Tristan lève les yeux au ciel.

- Anastasia, passe-moi la confiture, c'est tout ce que je te demande. »

Mais à ces mots, elle se tourne complètement vers lui et prend un air choqué.

- Je rêve ! » Alors que Tristan lui lance un regard interrogatif, elle ajoute : « Ok, tu n'es toujours pas capable de différencier tes sœurs. Depuis treize ans, on aurait espéré. »

Tristan fronce les sourcils et se tourne pour observer son autre sœur qui se tient debout derrière lui, accoudée à l'embrasure de la porte. Un doute traverse son esprit. Elles ont bien les mêmes cheveux noirs de jais, la même peau pâle et les mêmes yeux bleu clair qui le fixent avec malice... Lorsque l'une d'elle laisse échapper un ricanement, Tristan se lève en soupirant, murmure un vague « très drôle » et emmène son verre et ses tartines pour aller manger son petit déjeuner dans le salon.

- Apparemment, Hugues Auffray passe en concert le 11 juillet à la salle des fêtes de Forges-les-Eaux » laisse échapper son père depuis son fauteuil lorsqu'il s'assied à côté de lui. « Vous pourriez peut-être y aller, ça vous occuperait. Qu'est-ce que tu en penses, Tristan ? »

Tristan lève son visage vers lui, l'air peu impressionné, mais son père murmure « je plaisante », les yeux toujours plongés dans La dépêche du pays de Bray.

- Tu ne devrais pas manger sur la table basse, pépé ne va pas être content s'il te voit. »

- Il est pas dans la maison de toute façon, il est parti où ? »

- Chercher du pain en ville. »

- Ok » répond simplement Tristan.

Un long moment passe sans autres bruits que celui de ses tartines qui craquent sous ses dents et celui des pages du journal qui se tournent. Mais en relevant la tête, Tristan voit que son père l'observe avec attention.

- Je sais que tu n'as pas forcément envie d'être ici, et maintenant que tu es majeur on ne devrait pas te forcer à passer les vacances chez tes grands parents. »

Tous les étés pendant que leurs parents travaillent, Tristan et ses sœurs viennent passer le mois de juillet chez leurs grands-parents dans la campagne normande. Et même s'il aime râler et répéter qu'ils n'ont rien à faire, perdus ici au beau milieu de nulle part, il sait pertinemment qu'au fond de lui ça ne le dérange pas tant que ça.

- Un mois, c'est long » continue son père. « Et si tu t'ennuies et que tu veux rentrer, n'hésite pas à nous le dire, d'accord ? Avec ta mère, on rentre demain après-midi à Paris, mais on reviendra sûrement le weekend prochain ou celui d'après. Tu pourras repartir avec nous si vraiment tu veux rentrer. »

Tristan esquisse un sourire. Il est touché par l'inquiétude de ses parents, mais il sait très bien que rien ne le pourra le faire rentrer plus tôt. Ce mois de juillet, il l'a attendu toute l'année et il compte bien en profiter.

Silencieusement, il continue de manger ses tartines, en essayant de ne pas trop penser à Martin.

En face de lui, son père lui sourit d'un air complice avant de se replonger dans le journal. Quelques minutes plus tard, il s'exclame : « Ça alors, jeudi dernier quelqu'un s'est baladé tout nu sur la nationale, en plein après-midi ! » Avant d'ajouter, naturellement : « il avait trois grammes dans le sang. »