Chapitre 20.1 - S'investir et aider à bâtir sur les cendres

85 19 3
                                    

Elle va finir par me mettre en retard cette connasse.

— Deux !

— Non, une dose, pas possible plus. Okay ? Stop.

Réflexion. Elle pèse le pour et le contre, comme si sa décision allait impacter le restant de sa vie, alors qu'elle et moi savons très bien que l'échange est à son avantage. Et en plus elle me force à lui parler allemand, « Pas anglais ! Moi uniquement parler allemand ». C'est ça, ouais...

— D'accord, abeur tsouérst les doses.

Elle parle trop vite, j'y comprends rien. Mais vu sa main tendue, je suppose que c'est marché conclu. Un peu vieux jeu, mais bon, serrons-nous...

Brutal retrait de sa main !

— Non ! Je traoueu dir pas, je veux di betsaloung. Tsayg ess moi !

Quoi ?! Je pige que dalle à son foutu charabia. Qu'est-ce qu'elle veut à la fin ? Pourquoi elle s'énerve tout à coup ?

— Moi pas comprendre.

Elle me montre du doigt ma petite fiole de Talium que je tiens à la main. Puis elle me fait signe de la lui donner d'un mouvement répété de son index se pliant et se dépliant énergiquement.

— Le Talium, je le veux avant.

Il suffisait de me parler calmement.

Je lui donne ma mignonnette, toujours remplie depuis que le sergent Holzer me l'a donnée.

— Une dose, pas plus. Une seule.

J'insiste en lui montrant mon pouce levé.

Ce fut laborieux, mais ça en valait la peine. Avec cette nouvelle paire de chaussures montantes presque neuves, semelles à peine usées, et surtout à ma taille, je m'offre là un beau cadeau. Je vais enfin pouvoir me débarrasser de ces foutues pompes de randonnée qui prennent l'eau et que je traîne depuis... depuis pas longtemps en fait. Elles datent d'avant Kell am See, du jour où j'ai tué cette mère de famille...

Après avoir reniflé le contenu de la mignonnette pour s'assurer que je ne cherchais pas à l'entourlouper, la vendeuse se baisse pour fouiller dans son sac et en sortir une boîte métallique. À l'intérieur, tout le nécessaire pour ses injections. Elle prend une seringue enveloppée dans un linge, passe rapidement l'aiguille à la flamme avant de la plonger dans la petite bouteille et tire sur le piston pour remplir le réservoir, 20 ml, tout juste. L'opération terminée, elle referme mon flacon et me le rend en me remerciant sèchement d'un signe de tête. Enfin, elle me donne mes chaussures.

Je m'assieds sur le bord du trottoir pour enlever mon ancienne paire et chausser la nouvelle. Pendant ce temps, la commerçante appelle son petit garçon resté en retrait depuis le début de notre transaction. Elle lui demande de s'asseoir pour lui faire son injection. Le jeune enfant, 8 ans environ, le teint pâle et le regard vide, se laisse faire sans se plaindre. Sa mère s'installe et recherche une veine sur le bras de son fils. Puis elle le pique en le tenant fermement. Le petit tremble mais ne bronche pas. Vu son état, j'ai bien l'impression qu'il est en manque de Talium depuis plusieurs jours.

Même s'il est facile de se procurer ici le sérum tant recherché, plus que nulle part ailleurs, les habitants doivent malgré tout se montrer patients pour obtenir leurs doses bimensuelles, ou plutôt trimensuelles maintenant qu'il faut espacer nos prises de douze jours au lieu de quatorze.

Je me relève. Mes pieds sont à l'aise, quoi qu'un peu serrés. Le temps et les miles arrangeront le problème. Ça m'a coûté cher, mais ça en valait la peine.

— Vilsst dou dènn alteunn Chassures pas mèrr ?

Mais qu'est-ce qu'elle veut encore ?

Avec son index tendu, elle me montre mon ancienne paire de chaussures. Désolée, mais je n'ai rien vu d'autre d'intéressant dans ton foutoir, je préfère les échanger ailleurs.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant