Joe Brown

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22 janvier 1941

Je suis tout juste rentré de permission chez mes parents que le commandant m'a déjà sauté dessus. Je doit immédiatement reprendre mon envol. On a perdu trois cents avions l'année dernière, de nouveaux viennent d'arriver. Mais hélas, trois déjà se sont crashés avec tout leur équipage dedans, aucun survivant, juste trois carlingues démantelées et des corps ensanglantés dessous ...

 Au loin, j'aperçois déjà la mer. Grise sous un ciel gris, parfois traversé par un un éclair d'une bombe larguée par un avion. Depuis juillet la guerre fait rage au-dessus de l'Angleterre. J'en ai assez de craindre pour ma vie à chaque sortie, d'avoir peur qu'une balle touche mon Spitfire et que ce se soit le grand plongeon. J'en ai assez de ces guerres qui ravagent le monde, j'en ai assez de cet allemand qui se crois tout permis. J'ai 25 ans depuis juillet 1940. Le lendemain de mon anniversaire : premier bombardement d'un convoi anglais traversant la Manche. Je suis né au milieu de la 1ère guerre. Ma mère a failli trépasser en me mettant au monde. Je me souviens très peu de la première guerre mais la blessure de mon père à la tête est là pour me rappeler que la guerre n'est pas une plaisanterie, qu'a tout moment je peux perdre la vue, l'ouïe, un membre, la tête ou tout simplement la vie. J'en ai assez de faire en sorte que les Allemands, ces nazis, ces abrutis ne prennent pas mon pays, ma terre, ma maison, ma patrie. J'en ai assez !!! Tout en réfléchissant je ne me suis pas rendu compte que j'ai contourné les attaques allemandes et que je survolais la France. Ce beau pays que je n'aurais sûrement jamais le plaisir de visiter, ce beau pays dévalisé, blessé, saignant de l'intérieur, ce beau pays qui s'assassine lui-même à petit feu... Quand on le traverse (car oui mon objectif est de bombarder des hangars de la Luftwaffe pleins à craquer d'avions prêts à décoller) il ne faut jamais descendre plus bas que Calais et traverser rapidement la Belgique. A présent je passe au-dessus de Liège, j'y suis presque. Je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas encore croisé de ME 109, le nouvel engin préféré d'Hitler, ces avions rapides et maniables que je suis censé détruire. Bon, je ne vais pas m'en plaindre mais c'est inquiétant ... C'est bon, j'y suis, je vois Aix-la-Chapelle (ou Aachen pour les allemands). Mon objectif est juste derrière cette ville carolingienne frontalière. Et m**de ! A réclamer des avions ennemis me voilà servi ... Trois avions de la Luftwaffe me foncent droit dessus. Je ne vend pas cher ma peau. J'ai bien fait d'avoir insisté pour partir seul en mission ça aurait été un sacré carnage sinon. Les avions allemands commencent à mitrailler mon petit Spitfire. Je remonte en piquée, c'est la meilleure technique quand on est seul contre plusieurs. Cela donne l'avantage de la hauteur. Heureusement pour moi, je suis bien reposé, le taux de carburant est encore élevé et j'ai une bonne visibilité. Pendant que j'analyse mon environnement, je commence à tirer. Il y a des civils en bas et de beaux monuments assez anciens, je n'ai pas envie de tout casser ni de tuer des civils qui n'ont peut-être rien demander. Je vire de bord tout en essayant de garder de la hauteur par rapport aux allemands. Nous sommes au-dessus des hangars. Si je vise bien, je peux accomplir ma tâche mais c'est ma vie ou la mission. Les allemands ne sont pas loin derrière moi. Je ne suis pas en bonne position mais j'ai encore une marge pour disparaitre au loin et retourner dans mon pays sans accomplir ma mission. Il faut que je choisisse. Je pense au regard vide de mon père et celui perçant de mon commandant qui seraient déçu de voir son fils pour l'un et son soldat favori pour l'autre en lâche. Mais je pense au regard dévasté de ma mère après l'annonce de ma disparition, aux larmes de ma petite sœur, à l'incompréhension de mon petit frère. Mais également à l'air triomphal de ces allemands qui continuent de tirer, ce regard triomphal devant ma fuite. Je représente l'Angleterre, je me dois de montrer à cette bande de chaussettes pourries comment se bat un anglais, comment les anglais triompheront devant les nazis. Je dois leur montrer qu'il ne gagneront pas, JAMAIS ! Je fais volte-face, et mitraille mes poursuivants. Un instant a suffit à me redonner l'espoir de réussir ma mission et peut-être y survivre. Mon changement de comportement a surpris les aviateurs ennemis, je l'ai sentis à leur manière de conduire. Ce léger moment d'inattention est toujours fatal : un ME 109 chute, un de moins ! Plus que deux ... Je suis juste au-dessus d'un des hangars, je largue une bombe. Pas le temps de regarder si elle arrive à bon port une missile frôle la carlingue de mon avion : il faut que je me dépêche ... Je largue une autre bombe sur un autre hangar, j'ai perdu de la hauteur les missiles volent plus proche de mon Spitfire l'angoisse monte, il ne me reste deux bombes à larguer, je peux le faire. Je dois le faire ! Je lance une rafale de missile espérant qu'un autre avion soit touché et au passage je lâche une bombe. Parfait ! En plein dans le mile ! Plus qu'une bombe mais encore deux avions ...

Trop tard ! L'alarme résonne dans mes oreilles ... Je suis touché ! Il faut que je largue la dernière bombe sinon je vais exploser avec mon avion ! Il faut que je garde mon sang-froid pour les minutes qui me reste à vivre... Je perds de la hauteur à une vitesse ahurissante, ma vitesse, elle, augmente, tout comme la chaleur : mon aile droite prend feu et se détache... Vite, la bombe ! Tant pis, je la largue comme ça sans viser sans regarder où elle se posera. Je quitte la salle de contrôle et tente d'atteindre le sas d'ouverture. Je m'approche du vide... Il faut sauter, mon parachute est bien fixé à mes épaules, il faut sauter maintenant ! Mais ... Je ne vois qu'une seule chose, le feu qui ravage mon Spitfire. On mourra ensemble, comme toutes les missions qu'on a faites ensemble, on terminera notre dernière mission ensemble. J'aurais peut-être dû sauter avant mais c'est trop tard maintenant la porte est en feu, tout est en feu, je sens les flammes me courir sur les jambes, il faut que je me débarrasse de mon parachute ou je risque de mourir brûlé par ce dernier. Je le balance par dessus les flammes et je le regarde tomber... Tomber ... Tomber. Ma dernière pensée je l'envoie à ma famille. Car la vie de Joe Brown, aviateur de la Royal Air Force, 25 ans s'achève aujourd'hui. Il a accompli sa dernière mission de destruction  mais aussi sa vie.


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