Partie 14

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« Lève-toi, c'est l'heure. »

J'ouvris les yeux un instant avant que les cloches ne sonnent la septième heure. Mon colocataire se trouvait au même endroit que la veille.

« Tu m'observes dans mon sommeil maintenant ? »

Je grognai et m'étirai.

« Non, je testai ma nouvelle liberté, j'arrive à rester 'présent' quand tu dors. »

« Toujours cette histoire de 'je deviens plus puissante et toi aussi' ? »

« Il semblerait. Ça pourra nous être utile. »

« Effectivement. »

Je restai silencieuse le temps de me débarbouiller et de m'habiller. Si j'avais eu la volonté de me lever plus tôt, j'aurais poussé jusqu'aux bains, mais cela suffirait pour le moment. Je peignis mes cheveux avec soin et pris un moment pour m'observer dans le miroir. Cheveux, mains, visage et vêtements propres, tout semblait pour le mieux. Je pris mon ardoise, un cahier neuf et me dirigeai vers la salle à manger. Je me faufilai jusqu'à la table que j'avais l'habitude de partager avec Gilda. Celle-ci me tendit un verre de lait et plusieurs tartines de confiture.

— Prête ? m'interrogea-t-elle.

« Auten que possible. »

— Ça va aller. Ne te laisse pas faire.

« Tu crois que si on en frappe un ou deux ? »

« Très. Mauvaise. Idée. Je te rappelle que nous devons être de parfaits petits élèves. »

« Mouais. Ne compte pas sur moi pour me laisser marcher sur les pieds. »

J'entendis la voix soupirer et retint un sourire. J'avalai mon repas en vitesse et utilisai les indications de Gilda pour me rendre jusqu'à la salle de classe. Je frappai et la porte s'ouvrît. La pièce n'était pas beaucoup plus grande que celle où Gilda m'avait donné mes leçons. Deux élèves se trouvaient déjà là et pivotèrent pour me regarder, de même que leur professeur. À l'instant où je reconnus Kay, mon visage se ferma. De l'autre côté de la pièce, le sien afficha un sourire narquois.

— Eh bien, au moins tu es ponctuelle. Assieds-toi, nous attendons les autres pour commencer.

J'affichai l'expression la plus neutre possible et décidai de m'assoir sur la deuxième et dernière rangée, derrière mes nouveaux camarades. Deux paires d'yeux curieuses me regardaient et je fis de mon mieux pour leur rendre leur regard. J'alternai de l'un à l'autre. Un garçon, une fille. Cheveux bruns et courts, cheveux noirs et tressés. Yeux bleus, yeux verts. Les deux semblaient bien nourris, un an ou deux de moins que moi. Ils portaient des vêtements semblables aux miens, quoique visiblement taillés sur mesure et dans un tissu de meilleur qualité.

Le garçon ouvrit la bouche pour parler mais la referma quand la porte s'ouvrît. Deux autres garçons du même âge entrèrent dans la classe. Deux paires d'yeux marrons se posèrent sur moi et affichèrent la même curiosité. Le poids de tous ces regards commençait à me mettre mal à l'aise.

« Reste calme, respire. Pour l'instant ça se passe relativement bien. »

« Hormis le fait que la professeur ne m'apprécie pas. »

« Oui enfin, tout ne peut pas être parfait. »

Une nouvelle personne entra. Un autre garçon aux cheveux roux indisciplinés et aux yeux foncés.

— Bien, nous sommes au complet. Avant que vous ne posiez des questions, elle est muette et les  renifleurs l'ont trouvé au fond d'un caniveau.

Cette simple phrase transforma la curiosité en indifférence et en dégoût. Ils s'installèrent le plus loin possible de moi, me laissant seule au bout de mon banc. Je serrai les dents et laissai couler.

— Aujourd'hui, nous allons commencer une leçon sur les connaissances de bases dont vous aurez besoin pour lancer des sorts complexes. Premièrement...

Il ne me fallut pas plus de deux minutes pour être perdue. Les concepts qu'elle abordait m'étaient inconnus et je ne parvenait pas à prendre des notes. L'angoisse monta dans ma gorge et mes mains commencèrent à trembler.

« Chut, respire. »

« Je vais pas y arriver, j'y connais rien, je suis pas capable. »

« La ferme ! Bien sûr que non tu ne peux pas y arriver si tu as manqué les leçons précédentes. Tu as commencé à apprendre à lire et écrire il y a deux mois. Tu ne peux pas espérer égaler l'instruction de gosses de riches qui n'ont eu que ça à faire de leur journée. Écris ce que moi je te dis et nous verrons le reste plus tard. »

Je pris une profonde respiration, chassai la voix monotone de Kay de mes oreilles et me concentrai sur celle de mon colocataire. Je compris assez rapidement qu'il répétait avec des mots plus simples ce que disais ma professeur. Je m'efforçais de recopier les dessins et schémas au tableau en ajoutant les annotations que me dictait la voix. Cela dura une heure et demie. Quand la cloche sonna la pause, je me mordit les joues pour ne pas gémir de soulagement. Mes deux mains étaient parcourues de spasmes, tâchées d'encre, et la douleur remontait jusque dans mon coude. Je sentais poindre une migraine derrière mes yeux endoloris et tout mon corps criait son envie de courir loin de ce banc inconfortable. À la pensée qu'il me restait une autre session tout aussi longue avant la fin de la matinée, je sentis les larmes me monter aux yeux.

« Respire. »

« Je peux pas... »

« Astrid, reste avec moi, respire ! »

Mais la voix se faisait de plus en plus distante. Je me noyais dans mes propres pensées, entre mes angoisses, ma souffrance et mes incertitudes. Je revis le sourire mesquin de Kay, les regards indifférents de mes camarades. Je connaissais ce scénario par cœur. L'indifférence deviendrait vite moquerie et cruauté sous l'œil faussement aveugle de la professeur. L'appréhension fournit le détonateur idéal.

Tout au fond de l'océan de mon esprit bouillonnait l'énergie magique fraîchement libérée et qui ne voulait certainement pas être enfermée à nouveau. Elle s'extirpa des abysses, plongea directement dans mon corps, irradia de mon plexus jusqu'au bout de mes membres.

Quelque part mon oreille entendit des cris, mes yeux notèrent de la lumière, mais mon esprit et mon corps ne m'appartenait plus. La magie avait pris le contrôle, tendue vers un seul but, sa liberté. Et pour être libre elle devait éliminer la cause de mes problèmes. Eux

La lumière se rétracta, un bruit insoutenable résonna et le monde vira au blanc.

L'Âme du Cavalier RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant