Troisième partie

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Depuis combien de temps sommes-nous enfermés ici ? Je l'ignore, je ne parviens plus à compter les heures qui défilent. Ma montre est attachée à mon poignet, mais elle est cassée, les aiguilles ne tournent plus. Un homme nous a apporté une bouteille d'eau et un peu de pain, tout à l'heure, mais il n'en reste plus rien, bien que nous ayons essayé d'économiser. La soif assèche à nouveau ma gorge et j'imagine que c'est pareil pour Steve. J'ignore toujours ce que je fais ici, et surtout pourquoi le jeune homme ne me l'explique pas. À chaque fois que je viens sur le sujet, il le détourne, ou me dit très clairement que je n'ai pas à savoir, que ce serait trop dangereux. Pourtant, je juge que j'ai le droit de connaître la vérité. Du moment que je suis enfermée ici à cause de ce que j'ignore, j'imagine que j'ai le droit de le savoir, non ? Quel est donc ce lourd secret qu'il me cache ? Et surtout, pourquoi me le cache-t-il ? Je ne pense pas que le danger soit la seule chose qui l'empêche de me le dire. Alors, d'une voix prudente pour éviter de l'énerver, je demande :
- Steve ? Pourquoi tu ne veux pas me dire la raison pour laquelle nous sommes enfermés ici ?
Ses yeux noisette se posent sur moi, pensifs, comme s'il cherchait une réponse appropriée à ma question. Il reste longuement perdu dans son propre esprit, à m'observer. Il me regarde, certes, mais j'ai l'étrange impression qu'il ne me voit pas, comme s'il regardait en réalité derrière moi. C'est une sensation assez étrange, surtout quand on a les yeux plongés au fond des siens. Le silence s'éternise, mais finalement, il répond :
- Ça aussi, c'est compliqué...
- Je pense que je pourrais comprendre.
Il soupire, apparemment, il s'attendait à ce genre de réponse de ma part. Il finit par baisser les bras, et commence :
- Et si je t'expliquais plutôt pourquoi on est ici ? C'est ce que tu veux non ?
Je hoche la tête, mais de toute façon il n'attendait pas vraiment de réponse, il soulignait juste le fait. Il reprend :
- Eh bien... Je ne sais pas trop par où commencer...
Il marque une pause, pensif, et je respecte son silence. Finalement, il continue :
- Hum... Est-ce que tu... possèdes un genre de don, quelque chose que les autres n'ont pas, et ne comprennent pas très bien ? Par exemple, peux-tu déplacer des objets par la pensée, parler par télépathie ?
J'écarquille les yeux, surprise. Je sais exactement de quoi il parle, mais je n'appellerais pas ça un don, plutôt une malédiction. En fait, je ne suis pas sûre que cela entre dans ce qu'il entend par « don », car je n'ai jamais entendu parler d'autres personnes qui peuvent faire ce que moi je fais. Cela me paraît donc peu probable qu'il soit au courant de l'existence de cette faculté.
- Je ne sais pas si cela compte, mais je... je peux voir des gens que personne d'autre ne voit... Et je peux soigner des blessures, mais sans le vouloir...
Il semble étonné, stupéfait même. Il me regarde comme si mon nez était devenu mauve, avec de grands yeux ronds. Je fronce les sourcils, j'imaginais que lui comprendrait. Mais finalement, c'était stupide de ma part. Il n'est en rien différent des autres, il ne comprendra jamais ce que je vis, avec cette faculté pour compagnie.
- Alors c'est vrai... Je... Je ne pensais pas que les gens comme toi existaient vraiment... Tu es une nécromancienne, les gens que tu vois, ce sont en fait des âmes errantes, des fantômes. Donc, pour en revenir au sujet, il existe donc des gens comme nous, dotés de dons qui effraient souvent les autres parce qu'ils ne les comprennent pas. Une espèce d'association s'est mis en tête de nous éliminer, ou de nous « guérir », je ne sais pas trop, mais c'est pour cela qu'on est ici.
J'ai du mal à encaisser le choc. Tant d'informations en si peu de temps, et des choses que je n'aurais jamais imaginées qui plus est, c'est assez assommant. Je reste donc muette un long moment, le temps d'encaisser. Puis je demande :
- Je vois... Et toi, c'est quoi ton pouvoir ?
Il sourit.
- Regarde.
Les reflets fauves de ses yeux semblent s'animer, danser dans son regard. Il avance ses mains, paumes vers le plafond, et me laisse totalement désemparée. Du centre de ses mains s'élèvent des filaments de la couleur des flammes. Ils se mettent en boule, en pelote, et bientôt, c'est un oiseau de feu qui s'envole des mains du jeune homme. Il plane, battant des ailes, avant de se transformer peu à peu pour devenir un dragon, puis un lièvre et enfin une panthère. Puis les flammes s'éteignent, retombant en une petite pluie d'étincelles sur le sol, et je repose mon regard sur Steve qui me sourit. Tout ce que je parviens à dire c'est un « Waouh » admiratif, et il sourit de plus belle, laissant échapper un petit rire. J'aurais mille questions à lui poser, mais à mon avis, chaque chose en son temps. J'ai déjà suffisamment de réponses sur lesquelles réfléchir, et puis, j'imagine qu'assommer l'adolescent d'interrogations n'est pas la meilleure idée.

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