Je m'arrêtai brusquement. Que venait-il de dire ? Lui et les siens n'étaient donc pas de ces petits voyous faisant les poches des pauvres passants ? Mais qui leur avait ordonné de venir ici ? Un nom s'imposa dans mon esprit, mais je le chassai. Dans ce monde, Segger n'existait pas.
Glacial, je toisai le jeune avec férocité. Sans même avoir à lui poser la question, il déballa tout ce qu'il savait :
— C'est un mec, il s'appelle Télio je crois. Il voulait qu'on se débarrasse de toi vite fait, qu'on te fasse passer un message comme quoi t'étais pas le bienvenue. C'est tout ce que je sais, je le jure !
La rage envahit mes veines. Télio. Encore et toujours lui. Il entendrait parler de moi à mon retour à la base, foi de Sigma. Même si je n'en étais plus un. C'était bas de tenter de s'en prendre à moi à l'extérieur et en déléguant à d'autres. Et c'était surtout lâche de sa part. Tout lui en somme.
Depuis mon réveil hors du coma, il faisait de ma vie un enfer. Je ne me souvenais pas comment j'avais fini à l'infirmerie, puis à l'hôpital militaire. Le Sergent Davis m'avait raconté qu'il y avait eu un accident en manœuvre, sur un parcours qui consistait à traverser une poutre en hauteur.
Sans savoir comment, j'étais intimement persuadé que Télio avait quelque chose à voir là-dedans. Il m'en voulait pour une raison qui m'échappait encore. Je penchais pour la jalousie, mais je n'en étais pas certain.
La mâchoire serrée, je grinçai des dents. La soirée venait de commencer et elle ne risquait pas de finir. Le jeune délinquant eut un mouvement de recul. Qu'avait-il vu en moi ? La colère brûler dans mes yeux ? La folie dans mon silence ? Le monstre dans mes mains meurtries et ensanglantées ?
— T'as un téléphone ? fut la seule chose que je lui lâchai.
Il hocha la tête et, sans hésiter, me balança le sien. Je le déverrouillai en suivant ses indications et entra un numéro dedans. Je levai l'appareil à mon oreille et entendis la numérotation suivie d'un enregistrement automatique. Ce dernier me redirigea vers une opératrice dont la voix fluette trahissait son jeune âge. C'était toujours compliqué avec les nouvelles recrues, mais je m'en contenterais.
— Allô, ici le service des urgences, que puis-je pour vous ?
— Au 31 rue William Booth. Cinq victimes.
Et je raccrochai. Je savais que la discussion était de toute manière enregistrée et que, même si elle n'avait pas tout saisi, elle pourrait réécouter. Les secours commençaient à avoir l'habitude de mes coups de fils lapidaires et simplistes. Je lançai le téléphone au jeune garçon qui l'attrapa maladroitement.
— Reste ici, les pompiers arrivent pour tes potes. N'essaie même pas de te retourner contre moi, je pourrais vous faire mettre en prison pour tentative de passage à tabac prémédité, c'est clair ? le menaçai-je, tandis qu'il hochait rapidement de la tête.
Je quittai la ruelle sur ces entrefaites, laissant là mon carnage. J'aurais dû pleurer pour mon âme qui noircissait de jour en jour. Mais j'en étais incapable. J'étais arrivé à un point de non-retour. Personne ne pouvait me sauver. Ceux qui l'auraient pu n'étaient pas de ce monde.
Je marchai sans but, déconnecté de la réalité, me guidant là où mes pas le souhaitaient. Zoé m'était encore apparue. Enfin, sa voix. Ce n'était pas la première fois, ni sans doute la dernière. Elle était toujours là au moment où j'avais besoin d'elle.
Je repensai au corps du délinquant sur lequel je m'étais acharné, de son visage blême et inconscient, couvert de sueur et de sang frais. Il avait échappé de peu à la mort. J'étais écœuré de moi-même, comme à chaque fois que je perdais les pédales. Mais je recommencerais, indubitablement.
Je m'arrêtai au milieu d'une rue vide. Au loin, je perçus le bruit des sirènes. Était-ce celui d'une ambulance ? Celui d'une voiture de police lancée à ma recherche ? Ou n'était-ce qu'un écho de mon imagination ?
Il avait commencé à pleuvoir dru et le sol détrempé se chargeait d'eau de minute en minute. Je n'étais revêtu que d'une simple veste noire, guère suffisante pour me protéger d'un tel déluge. Je levai mon visage vers le ciel. Ma colère était retombée et je songeai après coup que j'avais bien fait de ne pas être allé voir Télio tout de suite. Qui sait dans quel état je l'aurais mis lui aussi ?
Je laissai l'eau s'infiltrer dans mes vêtements, le froid s'insinuer dans ma peau pour me glacer jusqu'aux os. Je me sentis de plus en plus ankylosé, anesthésié par cette pluie gelée. Je ne voulais plus bouger, les yeux toujours dirigés vers les étoiles, invisibles à cause des intempéries. Je m'abandonnai. J'avais l'impression que la pluie me purifiait. Elle lavait le sang sur mes mains, mes pêchés, mes doutes. Si je me concentrais suffisamment sur elle, sur son bruit sur l'asphalte, j'arrivais même à oublier mes souffrances, mes amis.
Oui, l'eau était définitivement bel et bien comme Lise.
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SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la Rébellion
ParanormaleAfin de limiter le risque de ruiner toute forme de suspense, il n'y aura aucun résumé sur ce tome. ⚛ LE RESTE DE LA SAGA SIGMA ENERGY ✅ SE T1 - L'Étincelle de Liberté ☑ SE T3 - Les Cendres de l'Ultime Combat ☑ SE T4 - Les Vestiges de l'Avenir