CHAPITRE 11 - Aldo [4|7]

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Je vis la veine sur son front palpiter tandis que son visage virait au rouge, mélange de honte et de colère à la fois. Pensait-il vraiment que je me laisserais faire ? J'aurais pu paraître orgueilleux à m'exprimer ainsi si cela n'avait pas été la vérité.

Télio le savait aussi bien que moi. Ce n'était pas pour rien que le Sergent Davis me laissait combattre avec des soldats du cycle supérieur. Aucun de ceux de mon groupe ne parvenait à m'égaler à mon niveau. Et cela rendait Télio vert de jalousie.

Ce dernier fit un pas en avant. Je sus qu'il s'apprêtait à m'attaquer. Cela transparaissait en lui, dans sa posture, dans ses expressions, dans l'aura qui l'entourait. Tous retenaient leurs respirations. Moi avec. Il leva le poing, prêt à me l'envoyer dans la figure.

— Ça suffit vous deux ! Soldats, garde-à-vous ! tonna une voix ferme dans tout le dortoir.

Le lieutenant en charge de notre jeune escadron fit son entrée, tandis que nous nous mettions en position, droit comme des i. La mine renfrognée, il parcourut les rangs, inspectant l'ordre et la propreté des locaux. Il s'arrêta devant Télio, devenu blême. L'arroseur avait fini arrosé. Mais je craignais que, puisqu'il n'avait pas eu le temps de me frapper, cela ne soit pas pris pour une faute grave par le haut gradé.

— Vous deux, en salle Sansonnet ! Sur-le-champ ! nous ordonna-t-il de sa voix rocailleuse.

— À vos ordres, Lieutenant ! répondis-je en même temps que Télio.

Nous quittâmes notre chambrée au pas de course et traversâmes la moitié du campus avant d'atteindre le bâtiment. Toutes les salles portaient un nom d'oiseau. Celle du Sansonnet se trouvait être la dernière dans la longue estafilade de portes dans le couloir principal.

Je savais ce qui nous attendait dedans. J'avais eu le loisir de le découvrir peu après mon réveil où, coincé à l'infirmerie, je m'étais échappé une nuit pour parcourir les lieux. Si les autres pièces étaient destinées aux cours théoriques avec leurs bureaux parfaitement alignés, leur tableau blanc et leur projecteur digne d'une salle de classe, celle du Sansonnet était d'une nature toute autre.

Télio et moi débarquâmes à l'intérieur et nous positionnâmes au garde-à-vous en silence. En face de nous s'élevait une immense arène creusée en cuvette. Nous étions pour le moment dans les gradins, mais il m'était fort à parier que nous allions finir d'ici peu dans la zone de combat.

L'ensemble de notre garnison ne mirent que cinq minutes à nous rejoindre. De mon emplacement, je sentais la tension de mes camarades et leur hostilité à notre égard. Le Lieutenant était le plus haut gradé de la base, celui qui régissait tout, cette erreur nous attirerait les moqueries et le mépris des autres escadrons. De plus, nous risquions d'être catégorisés en régiment à problèmes.

Ce n'avait jamais été mon intention, mais je ne pouvais me permettre de rester stoïque quand on s'en prenait à moi. C'était comme se tenir droit devant les stands de tir, en espérant ne pas recevoir de balles.

Je n'avais rien à me reprocher, je ne l'avais même pas attaqué pour me venger. J'avais pourtant tant de colère en moi qui ne demandait qu'à sortir. Je l'avais extériorisée cette nuit en partie, mais elle était encore là, tapie dans mon cœur.

J'en voulais à la terre entière de m'avoir fait croire à un monde où j'étais un enfant empli de magie. Les souvenirs réaffluaient dans mes yeux, mais je les chassai. J'aurais enfin l'occasion de déverser ma haine.

Le lieutenant se plaça devant nous, nous jugeant avec sévérité, ses yeux gris se posant sur chacun de nous avec dureté. Ce n'était pas le genre d'homme à laisser passer le moindre écart de conduite, il était principalement connu pour son intransigeance dans la base.

— Je ne sais pas quel est le différend qui vous oppose, et je ne veux pas le savoir. Je me fiche que vous ne vous appréciez pas, ce que je vois aujourd'hui, c'est que l'un comme l'autre, vous êtes incapable de mettre vos divergences de côté le temps de votre service ! Vous êtes dans l'armée ! Pas dans une cour de récréation de collège ! On vous demande d'obéir aux ordres, mais ce n'est pas suffisant pour survivre dans ce métier. Vous devez être prêt à tout affronter, à vous battre, au nom de notre pays, au nom de votre garnison. À l'heure actuelle, vous ne vous faites pas confiance l'un à l'autre. Mais pensez-vous vraiment que lorsque vous serez sur un champ de bataille, votre force seule suffira ? On ne survit pas en agissant seul dans une guerre. C'est parce que nous sommes ensembles, unis, que nous gagnons et que nous rentrons tous en vie à la base. Mais il semblerait que vous l'avez oublié, soldats !

Aucun de nous deux n'osa répondre, et Télio baissa même son visage. Il savait pourtant que les militaires de notre groupement avaient horreur qu'on ne les regarde pas dans les yeux. Le lieutenant, heureusement pour lui, ne s'en rendit pas compte, nous tournant le dos pour mieux contempler l'arène.

C'était la première fois que je voyais Télio ainsi, on aurait dit qu'il avait peur. Même face au Sergent Davis, il gardait habituellement la tête haute, orgueilleux comme à son habitude. Que craignait-il chez le lieutenant ? Quelque chose m'échappait, j'en avais conscience, mais je ne voulais pas nécessairement savoir quoi.

Je ne me moquais pas aussi bassement que lui, je ne cherchais pas la moindre faille en lui pour venir appuyer sur cette dernière. J'avais déjà mes propres démons à m'occuper personnellement, pour venir me soucier de ceux des autres. Et en particulier ceux de Télio.

Si Zoé avait été là, elle m'aurait sans doute rabroué d'être aussi fermé à mes camarades, de penser ainsi égoïstement. Mais c'était parce qu'elle n'était pas à mes côtés que j'agissais de la sorte. J'avais perdu un peu de la lumière qui éclairait mon chemin, un peu du bonheur qui illuminait mes journées.

Il n'y avait personne au monde qui ne pouvait la remplacer. Personne qui pourrait combler ce vide dans ma poitrine. J'avais le sentiment que cette douleur dans mon cœur était en train de contaminer mon corps en entier, anesthésiant tout : mes émotions, mon discernement, ma raison.

Je savais qu'il fallait que je stoppe tout ça, que j'arrête de m'enfermer dans un étrange passé qui n'existait même pas. Mais je n'y parvenais pas. Je ne faisais que rêver d'elle, nuit après nuit, sans arrêt. De son sourire qui venait lui creuser une petite fossette dans la joue, de ses cheveux plus noirs que la plus sombre des nuits et de ces grands yeux espiègles qui me regardaient toujours avec une franchise qui me déstabilisait à chaque fois.

Comment oublier une personne qui avait une telle place dans mon cœur ?

Je n'en étais pas capable. Tout comme je ne pouvais pas faire semblant d'avoir connu Lise, Loan, et même Néo, que je n'aimais pourtant pas.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant