SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la Rébellion

CHAPITRE 11 - Aldo [5|7]

Je serrais les poings dans mon dos. Je les sentais s'agiter frénétiquement, comme à chaque fois que je repensais à mes amis

Je me souvenais encore de mon réveil dans la base, du moment où j'avais fui les locaux, persuadé d'être chez Segger. Mais en reconnaissant le lieu où mon père m'emmenait quotidiennement, j'avais cessé de courir et l'infirmière avait fini par me rattraper.

Ma course s'était achevée cette nuit-là devant le stand de tir. Et lorsque j'avais demandé à la jeune femme où se trouvaient mes amis, elle m'avait regardé étrangement avant d'affirmer ne connaître aucun des noms que je citais. Dans cette réalité, personne ne connaissait mon mentor et mes semblables n'existaient pas.

Je peinais à croire, aujourd'hui encore, que cette voix qui me freinait dans tous mes travers ne soit que le fruit de mon imagination.

Je rouvris les yeux, que j'avais fermé pour l'affaire de quelques secondes à peine. Le lieutenant venait de se retourner vers nous, glissant ses yeux, plus argentés que l'éclat d'une lame affutée, sur chacun d'entre nous.

— Aujourd'hui, vous allez vous affronter dans un duel en un contre un. Vous n'êtes autorisés à n'avoir aucune autre arme que vos propres poings. Battez-vous comme vous comptiez le faire avant que je n'arrive dans vos dortoirs, déversez toute votre haine l'un envers l'autre maintenant. Peu importe quelle sera l'issue de cette épreuve, lorsque vous sortirez de l'arène, vous serez des frères d'armes. C'est compris ?

— Oui, Lieutenant !

Comme un seul homme, nous descendîmes les gradins pour atteindre l'arène. De là où nous étions, nous ne percevions presque plus la voix du Lieutenant s'adressant à notre Sergent. À vrai dire, j'avais la vague impression d'être coupé du monde dans ce stade circulaire en gravier, les éclairages pointant uniquement la zone de combat. Je ne voyais même plus nos camarades, ombres parmi les ombres. Je savais qu'il serait aisé de gagner contre Télio, pour autant, je ne comptais pas baisser ma garde, encore moins quand je croisai son regard. Quelque chose avait changé.

Il semblait être animé d'une force nouvelle, d'une détermination qui n'avait rien à voir avec la jalousie qu'il laissait apparaître à chacun de nos précédents combats. Mon adversaire avait toujours été avide de pouvoir et pourtant, à cet instant, j'eus l'impression qu'il était prêt à jouer sa vie dans cette bataille.

Était-ce par convoitise ? Par peur ? Par orgueil ? Non, ce n'était aucun de ses sentiments que je lisais dans ses prunelles gris anthracites. Parmi toutes ces émotions que je m'imageais, je fus surpris de comprendre qu'il faisait ça par désir de reconnaissance.

Oui, mais envers qui ? Nos camarades ? Notre Sergent ? Le Lieutenant ? Moi ? Impossible à dire.

Coupant court à mes pensées, Télio se mit en position, les pieds écartés, prêt à esquiver, les poings en l'air pour mieux frapper et parer. Alors j'en fis tout autant, impatient de voir s'il oserait porter le premier coup. Nous restâmes en position, nous tenant l'un l'autre en chien de faïence. Comme il ne bougeait pas, je franchis la distance entre nous deux d'une enjambée rapide, tendant mon poing vers ses côtes. Je n'y mis pas de puissance, me contentant de tâter le terrain. Il n'eut par ailleurs aucun mal à me contrer. En parallèle de mes attaques, je lui lâchai :

— Pourquoi as-tu envoyé ces gamins hier soir ? Tu savais qu'ils avaient peu de chances de me battre, même à plusieurs, alors pourquoi ?

— Je ne t'ai pas toujours détesté, Aldo. Initialement, aussi étrange que cela puisse te paraître, je t'admirais vraiment, je voulais t'égaler. Mais les choses ont changé, et aujourd'hui je dois gagner, me rétorqua-t-il, sans donner de réponse à mes questions.

Il accompagna sa phrase d'une attaque à hauteur de mon épaule que j'esquivai simplement en m'abaissant sur mes appuis. Pour le moment, le combat n'avait à mon sens pas commencé, il n'en avait ni l'intensité, ni la rapidité. Nous avions beau nous tourner l'un autour de l'autre, je n'en étais pas le moins du monde essoufflé.

— Qu'est-ce qui a changé ? Ou plutôt qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? Mon comportement indifférent ?

— Ça y a participé, avoua-t-il en essayant de me balayer d'un revers de pied.

— Donc ce n'est pas la raison, conclus-je. Tu sais, je t'observe depuis tout à l'heure. Depuis l'arrivée du Lieutenant, à vrai dire. Et j'ai découvert que le grand Télio pouvait avoir peur.

Mon sarcasme ne lui échappa pas. Je vis ses yeux brûler d'une flamme vive de colère contenue. C'était là tout mon but, l'énerver pour mieux lui extirper des informations avant d'en finir avec lui. Car aussi étonnant que cela le soit, j'étais curieux de connaître sa réelle motivation derrière sa jalousie perpétuelle.

Il ne pouvait pas être jaloux de moi à cause d'une fille, car il n'y en avait aucune dans la base et, dans mon cœur, je n'avais que Zoé. Ce n'était pas non plus vis-à-vis de nos camarades car, comme lui, ils me détestaient. Il venait de me prouver que ce n'était pas non plus par rapport à mon comportement. J'étais à court d'idées et le provoquer restait ma meilleure option.

— Tais-toi, Aldo, tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu n'as jamais eu peur, toi, de quoi que ce soit, ni de qui que ce soit. Tu ne sais pas ce que ça fait d'avoir la trouille au ventre tous les jours.

Il plongea sur une de mes ouvertures, mais j'attrapai son bras et l'envoyai paître un peu plus loin. Je lui laissai le temps de se redresser, rien ne servait de presser les choses.

— C'est toi qui ne sais rien, Télio, grondai-je, mon sang bouillonnant dans mes veines à sa dernière remarque. Tu ne me connais pas, tu ne sais pas quelle a été ma vie jusque-là, ça fait quatre ans que je me réveille la boule au ventre, avec la seule crainte qu'un matin, je me retrouve seul, mes amis ayant disparu et moi aux portes de l'enfer. Ce jour a fini par arriver. Que veux-tu que je fasse d'autre que de laisser ma folie prendre le pas sur ma raison, sur ma peur ?