CHAPITRE 11 - Aldo [7|7]

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Il respirait encore, mais son souffle n'était plus qu'un râle désagréable. Son visage était boursouflé par mes coups, son œil poché commençait à tirer sur le violet, et une bosse déformait le haut de son front. Il était en piteux état. Et si je n'avais pas entendu ses mots, je l'aurais sans doute tué.

Télio semblait être aux portes de l'évanouissement. Pourtant, de sa bouche pâteuse, il répéta.

— Le Lieutenant est mon père, articula-t-il avec difficulté. Mais je suis son fils illégitime, alors il ne veut pas de moi, comme ma mère. Je te détestais parce qu'il vantait toujours tes louanges, chaque semaine, alors qu'il me traitait comme un moins que rien. Je pensais que si je l'emportais sur toi, il m'accepterait peut-être enfin.

Sa voix se brisa. Je savais ce qu'il vivait. Je l'avais plus ou moins vécu, moi aussi, et même si ce n'était que dans un rêve, la douleur avait toujours été là. Maintenant, les pièces du puzzle se construisaient dans mon esprit.

Il savait que je l'emporterais sur les petites racailles hier soir, il savait qu'elles le dénonceraient sans hésiter. En revenant, ce matin, il s'attendait à me voir en colère, mais je m'étais maîtrisé, alors il était venu me chercher des problèmes. Il avait dû être mis au courant auparavant que le Lieutenant viendrait dans notre dortoir aujourd'hui, alors il avait tout mis en place. Pour que, quand le gradé arriverait, je sois en train de me venger. Il nous aurait alors confronté l'un à l'autre, comme en ce moment. Et Télio comptait me battre. Mais, bien évidemment, tout ne s'était pas déroulé comme il l'avait escompté.

La ressemblance entre son père et lui me paraissait évidente à présent. Leurs iris, gris plomb pour le premier, gris perle pour le second, ne laissaient aucune place au doute.

Télio déglutit, les paupières closes, alors que je voyais se former au coin de ses yeux des larmes qu'il ne semblait parvenir à contenir.

— C'est mon père, reprit-il de sa voix rendue rocailleuse, et pourtant il n'a rien fait quand il a vu que tu perdais pied. Il n'a même pas levé le moindre petit doigt. Je ne suis définitivement rien pour lui. Je te détestais parce que j'en bavais. Et je pensais que j'étais le seul à être dans une telle détresse. Mais je me suis trompé, de nous deux, tu es celui qui souffre le plus.

Ce fut seulement à cet instant que je compris pourquoi ma vision était si floue : les larmes ravageaient mon visage. J'étais incapable de me retenir, de les empêcher de couler. Cela faisait si mal. J'en criai de douleur, tant mon âme était brisée par cette existence détruite.

Une nouvelle fois, tout disparut autour de moi. Dans ce monde, il n'y avait plus rien pour moi. Je le savais depuis mon réveil de ce coma. Comment faisais-je pour vivre ainsi avant ? Je ne m'en souvenais plus.

Pour moi, il n'y avait plus que mes amis qui comptaient, au-delà des rêves fantasmés. Et maintenant qu'ils n'étaient plus, je n'avais plus rien.

Plus de lien, plus de pouvoir, plus de vie.

J'en étais même allé jusqu'à me défouler sur Télio d'une manière si sauvage qu'il lui faudrait sans doute des semaines pour s'en remettre. Par ma faute, je le privai d'un seul coup de l'attention de son père et de la sympathie de nos camarades qui le descendraient aussitôt qu'il ne serait plus à portée de leurs voix.

Je ne cessais de commettre des erreurs, si bien que je ne me reconnaissais même plus. Comment pouvais-je continuer à vivre après tout ce que j'avais fait ?

Plus que jamais j'avais besoin de la pluie. Cette même pluie qui panserait momentanément mes blessures, identiquement à la veille.

Télio ne bougeait plus, ses yeux étaient encore ouverts, comme s'il cherchait à rester éveillé, dans le seul but de comprendre ce qui me passait par la tête. Je fermai les miens et serrai les poings. Étais-je dans le déni ? Étais-je en train de succomber au doux espoir de voir mes amis revenir ? Je peinais à ne pas moi-même sombrer dans la démence. J'avais le tournis, tant j'étais tourmenté par tout ce que j'avais fait.

Je ne ressentais plus rien, ni le sable crissant sous mes paumes, ni mon souffle d'air s'échappant de mes lèvres gercées, ni la brûlure de ma blessure à la mâchoire d'où s'écoulait mon sang chaud et poisseux, ni même mes larmes qui dévalaient mes joues. J'étais anesthésié de toute sensation, de toute émotion, telle une coquille vide.

Je sentis une main se poser sur mon épaule, fraîche, douce, apaisante, rassurante. Un contact de l'au-delà, la caresse d'un ange. Mes larmes ne se tarirent pas, malgré cette voix qui me guidait dans mes propres ténèbres.

— C'est fini, Aldo, tu n'es plus seul.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant