Ce sera toi et moi

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      20 heures . Marion était installée au bord de sa fenêtre,les yeux rivés sur la maison d'en face. Comme d'habitude,elle attendait l'arrivée de Tina, sa voisine, dans sa belle petite chaumière. Tina avait tout d'une jeune fille séduisante: grande, blonde, les yeux verts émeraude. Tout le contraire de Marion, petite, maigre, les cheveux coupés court noir de jais.Marion n'était pas comme les autres filles de 16 ans, du genre à parler uniquement de Jean-Kevin, le mec badboy du lycée, populaire et beau gosse, et de la tenue qu'elles auront le jour du bal de fin d'année . Elle préférait passer ses journées à lire des livres et à écouter son album de blues préféré. Elle aimait se retrouver seule le soir, à laisser ses pensées incessantes inonder son cerveau, formant un tourbillon que nul ne pouvait arrêter. En résumé, elle n'avait aucun point commun avec Tina, la populaire du lycée, canon et aimée de tous les mecs . Et pourtant, elle aimait Tina . Elle l'aimait comme Romeo aimait Juliette , tout chez elle l'attirait, la faisait frissonner . Elle aimait la façon dont sa chevelure d'un blond étincelant volait quand il y avait un coup de vent, la manière dont ses grands yeux s'ouvraient encore plus grand lorsqu'elle s'émerveillait, révélant l'eclat de ses yeux, qui brillait d'une force qui incitait à être observé.
      Cette fille, Marion avait su qu'elle l'aimait des son déménagement en face de chez elle, trois mois plus tôt. Mais elle n'avait jamais osé aller lui parler, craignant d'être jugée,elle, la fille que tout le monde trouvait bizarre, et qui ne parlait jamais à personne.
       20 h 05. Marion vit  enfin Tina ouvrir le grillage amenant à sa maison, et se diriger vers la porte d'entrée, avant de s'immobiliser pendant quelques secondes: elle cherchait ses clés. Marion était contente, chaque seconde perdue par Tina avant d'entrer chez elle était bénéfique pour elle, qui ne se laissait pas d'admirer cette fille à qui elle n' avait jamais parlé mais qu'elle aimait plus que tout: chaque instant passé à la regarder comptait . Puis Tina trouva enfin ses clés, entra dans sa maison et le spectacle s'arrêta là, car il y avait des rideaux à toutes les fenêtres de la chaumière, empêchant Marion de regarder à travers .
       Le lendemain, même programme. Dès qu'elle fût levée, Marion se prépara en vitesse et s'installa à sa fenêtre, un livre à la main, tout en attendant le moment où Tina sortirait de chez elle . 11 h 17. Marion entendit le cliquetis familier de la clé tournant autour de la porte. C'était Tina quoi sortait de chez elle. Alors Marion abandonna son livre pour regarder une nouvelle fois le spectacle : Tina, vêtue d'un legging épousant à merveille ses longues jambes fines et d'une brassière de sport ."Elle va courir" songea Marion. Comme toujours, la jeune fille ne cessa de la fixer jusqu'à ce qu'elle referme le fameux portail et qu'elle s'élance dans la rue.
       Tout ce cirque continua encore cinq mois, avant que Marion se rende compte que Tina sortait de moins en moins . Avant, Marion pouvait la voir au moins une fois par jour sortir et rentrer de chez elle, alors que depuis deux ou trois semaines, les sorties de Tina s'avéraient être de moins en moins fréquentes, laissant parfois Marion trois jours sans pouvoir voir la fille dont elle était folle amoureuse, ce qui avait flanqué un sacré coup au moral de la jeune fille, qui ne pouvait la voir qu'à ces moments-là, étant descolarisée et cloîtrée chez elle à longueur de journée, son anxiété sociale prenant le dessus lorsqu'elle devait sortir et rencontrer des gens. De plus, Marion avait remarqué que durant les moments de plus en plus rares où elle pouvait voir Tina , cette dernière affichait une mine plus triste qu'à l'ordinaire, ces yeux avaient perdu leur éclat habituel et Marion avait déjà aperçu des traces de mascara sur ses joues, comme si elle avait pleuré.
      Deux mois après, la situation ne s'était guère amélioré. Les choses étaient même devenues pires: il arrivait que Tina passe plus de cinq jours sans sortir de chez elle, alors qu'elle était censée être au lycée, et son état mental semblait pire encore. Maintenant, elle ne prenait même plus la peine de se maquiller, et ses joues étaient creuses, ses épaules ammaigries, des cernes se dessinaient sous ses yeux . Son changement déchirait le coeur de Marion. Elle prenait conscience que la fille qu'elle aimait souffrait, et elle pouvait la voir de moins en moins.
      Trois mois plus tard, la situation était catastrophique. Ça faisait trois semaines maintenant que Marion n'avait pas vu Tina, et la dernière fois qu'elle l'avait vue, elle avait discerné dans son regard une lueur de désespoir, comme si elle appelait à l'aide. Elle avait les yeux rouges de quelqu'un qui avait pleuré pendant trois jours sans s'arrêter, et elle était désormais maigre comme un clou . Elle semblait avoir perdu la force de se nourrir. Marion, quant à elle, était déprimée . Tina, qui était la seule à qui elle tenait ( avec ses parents), avait l'air complètement perdue.
       Quatre jours plus tard, Tina fit enfin son apparition, alors que Marion était comme toujours à surveiller à sa fenêtre. Marion ne l'avait jamais vue aussi triste. Son regard était vide désormais, elle avait les poches sous les yeux de quelqu'un qui n'a pas dormi depuis une semaine. Ses cheveux n'avaient plus rien du blond étincelant habituel, ils étaient devenus couleur pisse at avaient perdu leur volume, les faisant ressembler à de la paille . Des larmes roulaient sur ses joues, elle semblait au fond du gouffre. Marion voulait faire quelque chose pour aider Tina, la sortir de sa cette grotte qu'elle s'était construite. Mais elle ne savait pas comment s'y prendre . Elle savait qu'elle serait incapable de d'aller l'aborder quand elle sort de chez elle, d'autant que Tina était la plupart du temps en pleurs . Alors Marion passait ses journées encore plus triste qu'à l'accoutumée, détruite par le sentiment d'impuissance qu'elle ressentait face à sa voisine à la santé mentale défaillante.
        La nuit suivante, le pire arriva:
Marion fut tirée de son sommeil à 4h30, par un cri, suivi d'un gros bruit sourd venant de la maison de  Tina . Angoissée, elle se leva alors précipitemment, et regarda à sa fenêtre : Tina gisait sur le sol, dans une flaque de sang. Elle était immobile. Marion comprit : l'impensable s'était produit . Elle était horrifiée, son coeur battait à 1000 à l'heure . Elle était désespérée, un sentiment indescriptible s'empara d'elle: un mélange de tristesse et de solitude. Elle n'arrivait pas à croire que Tina s'était donné la mort. Elle avait le sentiment d'avoir perdu un être cher, alors qu'elle ne lui avait jamais parlé. Elle avait perdu la personne qu'elle avait aimé pendant plus d'un an, d'un amour plus fort que tout ce que le commun des mortels pouvait imaginer. Elle avait passé plus d'un an à savourer chaque instant où elle voyait Tina, aussi court soit-il, et à chaque fois la regarder lui avait procuré  un bien fou, car pour elle, c'était comme regarder une pierre précieuse: chaque partie de son corps, chaque mouvement qu'elle faisait étaient parfaits selon elle .
      Le lendemain matin, les circonstances du décès furent annoncées à la radio: Tina avait sauté du toit de sa maison, mettant ainsi fin à sa vie. En revanche, on n'avait pas encore détecté les causes de son suicide, mais les journaux affirmaient qu'on ne tarderait pas à les découvrir, tout comme celles de la mort de Marion,  qui s'était suicidée cinq minutes après l'incident....

                         FIN DE LA NOUVELLE

Ce sera toi et moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant