Destination Togo

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Émilie voulait me faire rencontrer son Sire. En vérité, c'était lui qui avait demandé à me voir et elle avait obéi.

Il faut imaginer la hiérarchie des Choisis comme une immense compagnie. Tout en haut régnait le leader absolu, le président du Conseil. Pendant des siècles, ce dirigeant avait été Nemesis. Très récemment, la gouvernance avait changé, l'ancienne cheffe étant aux abonnés absents. Une partie de la communauté la pensait morte, vaincue par Asbjörn, et l'autre supposait qu'elle en avait assez, tout simplement, m'expliqua Émilie sur le trajet vers l'aéroport. En vérité, personne n'en savait rien, mais lorsqu'un personnage de cette envergure venait à disparaître, des légendes naissaient. Plus ou moins fondées.

Juste en dessous se trouvaient ceux que je baptiserais « les apôtres », les membres du conseil, tous des Choisis. Chacun d'entre eux avait créé une quantité de rejetons qui avaient à leur tour engendré une nouvelle génération, et ainsi de suite. J'étais tout en bas de l'échelle, la seule progéniture d'Émilie. Son Sire semblait avoir de nombreux descendants, en revanche, et lui-même dépendait d'un certain Hassam, membre du Conseil.

— Blake ? répétai-je lorsqu'elle me donna son nom dans l'avion pour le Togo. Il n'est donc pas français ?

Une fois de plus, elle prit un air moqueur et je me sentis ridicule.

— La France n'est pas le centre du monde, mon pauvre Sébastien, railla-t-elle. Je ne suis pas plus française que lui, d'ailleurs.

— D'où viens-tu ? demandai-je, avide d'en savoir un peu plus sur elle.

— Finlande, lâcha-t-elle, le visage radieux comme lorsqu'on se souvient d'un bon moment de son enfance. Un petit village disparu non loin de Joensuu.

Je remarquai qu'elle n'avait aucune trace d'un quelconque accent. Son français était impeccable.

— J'ai eu quelques années pour pratiquer le français, grimaça-t-elle.

— Émilie..., hésitai-je. Ça ne sonne pas très finlandais.

— Amy est mon nom de naissance. Émilie, c'est lorsque je suis en France. Mais revenons-en à Blake. C'est un vieux Choisi, très ancien, insista-t-elle. Ne joue pas avec lui comme tu le fais parfois avec moi. Il te tuerait sur le champ.

Elle marqua une pause théâtrale afin d'être sûre que je retienne cette information.

— Tu n'auras pas à lui parler, de toute façon. Le but est simplement qu'il connaisse ton visage. Chaque Choisi de sa lignée doit lui être présenté, c'est un rituel. Ça pourrait très bien te sauver la vie, un jour.

— Il vit en Afrique ?

— Non. C'est nous qui allons nous installer là-bas pour un temps. Lui a une affaire à régler au Bénin, il fera un petit détour pour te voir.

— Amy ? l'interrompis-je, sans vraiment savoir pourquoi.

— Oui ?

Je me rendis compte à ce moment précis que j'allais franchir un interdit. J'avais cette fille dans la peau. Elle me parlait, et j'écoutais, mais j'avais les yeux fixés sur ses lèvres et une seule pensée en tête. Maintenant qu'elle ne me prendrait plus de sang, comment serait un corps-à-corps ardent entre nous ?

— J'aime bien ce prénom, finis-je par dire.

Elle éclata de rire dans l'avion et quelques visages se tournèrent vers nous. Elle pivota d'un quart vers moi et passa une main sur ma nuque avant de coller son front contre le mien avec sensualité. Elle savait très bien l'effet que cela allait produire chez moi et elle s'en amusait. Elle humecta lentement ses lèvres et je sentis son souffle sur mon nez.

— Tu es jeune, très. Pour un Choisi, je veux dire. Du coup, tu as encore de fortes pulsions sexuelles. Ce n'est pas mon cas. Je te l'ai déjà dit, mon plaisir me venait de ton sang, pas de nos rapports ni d'une hypothétique attirance pour toi. Il faut que tu te débarrasses de cette idée de toi et moi dans des draps froissés par nos ébats lors d'une nuit torride... Ça n'arrivera pas.

Elle se replaça bien droite sur son siège, sortit un magazine qui traînait dans le filet face à elle, et ne prononça plus un mot. J'aurais dû avoir le cœur brisé. Pour être honnête, il l'était sans doute, mais ce n'était pas nouveau. J'avais cette femme dans la peau et elle ne cessait de souffler le chaud et le froid. Avais-je la moindre chance avec elle ? Aurait-elle un jour le moindre sentiment pour moi ?

Parfois, je le pensais et d'autres fois je ne pouvais que constater le plaisir qu'elle prenait à m'éconduire. Dans ces cas-là, j'essayais de prendre sur moi et de jouer l'indifférence.

Je revins donc à Blake. Y avait-il un rituel quelconque à passer ? Devais-je apprendre un serment ou quelque chose y ressemblant ? Serais-je intronisé lors d'une cérémonie officielle ?

— Rien de tout ça, rit-elle. Je te l'ai dit : il va juste te voir. Je lui ai déjà parlé de toi, il connait ton existence.

— Et il va retenir ma tête pour l'éternité ?

— Ce n'est pas le but.

Selon Amy, Blake n'avait pas vraiment besoin de me rencontrer. Savoir que j'existais était suffisant pour lui. Il n'avait d'ailleurs pas rencontré tous ses « petits-enfants ». Il en choisissait un de temps en temps, sans raison apparente.

— De toute façon, prétendit mon Sire, les nouveaux ne font pas long feu, la plupart du temps.

— Comment ça ?

— Les chasseurs font vite le ménage parmi la marmaille qui se croit invulnérable. Un peu comme toi.

Je ne répondis rien, me remémorant cette nuit dans les bois où j'avais servi d'appât à deux chasseurs. Je n'avais même pas vu leurs cadavres, juste le sang sur Amy. J'estimai donc n'avoir rien à craindre, puisqu'elle était à mes côtés. Ma belle et si terrible partenaire immortelle. 

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant