— Tu veux être mon ami ?
Je me pinçais. Je frottais mes yeux. Mais rien ne pouvait mettre fin à ce rêve éveillé : tu étais toujours là, devant le garçon le plus discret du collège, à lui proposer d'être son ami. Des amis, tu en avais des tas, pourtant. Des fascinants, des amusants, des beaux. Tous plus exceptionnels les uns que les autres, puisque les candidats se bousculaient au portillon. Juste pour te voir leur adresser un sourire, certain serait capable de signer un pacte avec le diable. Et malgré tout, malgré la foule d'êtres exceptionnels qui accepteraient volontiers ta proposition – et plutôt deux fois qu'une –, c'était moi que tu voulais.
Je n'eus que quelques courtes secondes pour décider de mon avenir. Il ne m'en fallait pas plus, la réponse était claire comme eau de roche : j'étais un solitaire qui n'aimais pas la solitude, et tu m'offrais ton aide. Une aide inespérée, une main tendue sortie tout droit de mes plus beaux rêves, une main que je m'empressai de saisir, récoltant ainsi mon premier sourire de la part d'Élior.
Un jour, j'ai eu peur. Je me regardai dans le miroir, et de toutes les couleurs au monde, il me semblait que je n'étais qu'un gris fade et sans intérêt. Alors que toi, Élior, tu es une palette d'un ton orangé tirant sur le jaune, quelque chose de comparable au soleil. Combien de temps allais-tu mettre avant de te rendre compte que je n'en valais pas la peine ? J'étais obsédé par cette question, et comme je ne voulais pas avoir à subir un rejet de ta part, j'ai préféré m'éloigner. Il a fallu que je te vois dans ce parc, sourire effacé et air affligé, pour que je prenne conscience de mon erreur. Tu allais mal, à cause de moi, et j'avais mal, à cause de ça. Je t'ai rejoint, et tu m'as parlé d'égoïsme. Tu me disais que tu étais égoïste parce que tu n'étais pas toujours heureux avec moi, préférant me parler de tes malheurs plutôt que de les dissimuler derrière ton habituel sourire. Tu pensais que tes larmes avaient moins de raison d'être que les tiennes. J'ai bu tes paroles, puis d'une voix faible, j'ai simplement dit :
— Je ne veux pas que tu partes.
— Je te promets de rester avec toi pour toujours si tu me promets de m'aimer pour toujours.
C'était équitable. J'ai enroulé mon petit doigt autour du tien, comme le font les enfants. J'avais chaud, avec le soleil contre ma peau, et ma peau contre la tienne.
❁
Aujourd'hui, il fait froid. Il fait froid parce qu'il pleut, il fait froid parce que le soleil ne vient plus me voir depuis que tu m'ignores. Il fait froid parce que tu n'es plus là. Tu as d'autres amis, maintenant, dont la simple vue fait tordre mon ventre. La jalousie, terrible et néfaste me mine le moral, et tu n'es plus là pour me le remonter. Tu t'excuses de ton retard quand tu arrives près du lac, tu justifies tes absences par messages ou tu passes en coup de vent avant de prétexter un devoir important. Et si aujourd'hui il fait si froid, Élior, c'est parce que tu n'es pas venu. Tu avais promis, et tu n'as pas tenu ta promesse.J'ai attendu, longtemps. Puis je suis rentré chez moi, mains dans les poches et cœur en mille morceaux. Cette fois, tu ne t'excuseras pas. Tu m'observeras, au loin, te demandant comment tu as pu être mon ami, te demandant pourquoi tu ne l'es plus. Tu pourrais revenir : je te pardonnerais tout, immédiatement. Le soir, je suis retourné au lac, et encore une fois, tu n'es pas venu. L'espoir fait vivre, mais ce genre d'espoir est plutôt comparable à une mer sombre qui noie lentement ses victimes.
Je prends une marguerite. Je te hais...
Un peu,
Beaucoup,
Passionnément,
Pas du tout.J'ai tenu ma promesse, Élior. Je t'aime toujours, même si tu m'as trahi. C'est ironique, je trouve, puisque c'est moi qui porte le nom de Judas.
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𝖤́𝗅𝗂𝗈𝗋
Short Story- Je ne veux pas que tu partes. - Je te promets de rester avec toi pour toujours si tu me promets de m'aimer pour toujours.