Je m'étais toujours dit que, en tant que Sigmas, nous avions déjà fait maintes fois preuves de courage. C'était quelque chose que rien ni personne ne pouvait nier, car nul ne connaissait notre histoire comme nous la connaissions nous.
J'avais fait face à cette nouvelle vie, à ses aléas, ses batailles, ses désillusions et ses surprises. Je n'avais pas cessé d'être moi-même, authentique et sincère. Face à l'adversité, j'étais restée sur le qui-vive, prête à en découdre avec ce monde qui ne fonctionnait pas comme moi et qui ne me comprenait pas.
Pourtant, malgré ces actes d'audace, je ne parvenais pas à affronter le regard d'Aldo.
Mon ami était dévasté, brisé, comme s'il n'était plus que l'ombre de lui-même. Je savais qu'il avait subi autant d'épreuves que Zoé et moi et je pensais trouver assez de force et de vaillance pour supporter ses tourments. Mais, en réalité, j'étais trop faible pour partager le poids de ses maux.
J'osai le regarder de nouveau. Je peinais à le reconnaître dans ce treillis militaire et lus dans ses traits la dureté des entraînements de la base et les nuits décousues qu'il devait endurer.
Je n'avais jamais vu autant d'émotions contraires s'esquisser sur son visage, d'ordinaire impassible. Il me fixait, ses prunelles bleu orage inondées de larmes. Zoé se tenait sur ma droite, en retrait, chamboulée elle aussi par ces retrouvailles plus qu'étranges.
Aldo détourna les yeux et je vis les jointures de ses doigts se blanchirent, à mesure qu'il serrait ses poings.
— Vous n'existez pas, ce n'est pas possible...
Cette phrase ne fut qu'un murmure, mais je devinais à quel point cela le blessait de penser ainsi. Comme nous, il avait dû renoncer à des souvenirs pourtant bien vrais.
— Hé, Aldo, chuchota le garçon allongé à terre. J'ai pris combien de coups sur la tête d'après toi ? Voilà que je crois voir des anges...
Je ne savais pas qui était cet adolescent, mais Aldo et lui s'étaient défiés dans un combat, violent et sauvage, qui ne pouvait que confirmer la haine qu'ils éprouvaient l'un l'autre. J'aurais voulu le remercier d'agir ainsi au lieu de laisser sa rancœur le submerger, néanmoins les mots ne vinrent pas.
Malgré les paroles du blessé, Aldo ne bougea pas. Il resta immobile, comme absent de l'instant présent. Était-il en train de songer à notre passé commun ? Pareillement à lui, je m'étais noyée dans les réminiscences, me rappelant cette amitié que nous partagions, ces instants de vie, d'innocence et de simplicité.
Je sentis de multiples regards, interrogateurs et suspicieux, dans mon dos et perçus dans le silence les messes-basses hypocrites et les murmures accusateurs. J'avais conscience que les autres nous voyaient tels des intruses. À vrai dire, je me doutais qu'un responsable ne tarderait pas à nous accoster pour nous questionner sur les raisons de notre présence.
Le jeune garçon à terre grogna de douleur. Comment parvenait-il à rester conscient après un affrontement aussi virulent ? En rentrant dans cette arène, je n'avais pu faire autrement que de me stopper tandis que, comme moi, Zoé se raidissait.
Aldo ne s'était pas battu contre son adversaire : il l'avait écrasé.
On aurait dit que la folie s'insinuait dans le moindre de ses gestes et, parallèlement, il m'était apparu fragile. Comme s'il se tenait sur un fil au-dessus d'un précipice qui menaçait de l'engloutir.
— Qui vous a permis d'entrer dans cette base militaire, jeunes filles ? Vous n'avez rien à faire ici ! gronda un homme qui arrivait sur ma gauche.
Je sursautai, surprise : je ne m'attendais pas à ce qu'un gradé vienne nous trouver aussi rapidement.
En me tournant vers lui, je ne pus m'empêcher de le dévisager. L'inconnu avait des yeux gris intimidants et une imposante stature, si bien que je me sentais tel David face à Goliath. Pourtant, je ne me laissai pas démonter et le toisai à mon tour.
Je n'avais pas peur de ce militaire.
— Je veux vos identités, la raison de votre présence et le nom de celui qui vous a mené dans la salle Sansonnet ! s'écria-t-il, intransigeant.
— Lise Retawn et Zoé Effirion. Nous devions parler de toute urgence au soldat Widlan. Le sous-officier Wellington nous a guidées jusqu'ici, expliquai-je avec calme.
Je savais mes amis auprès de moi, alors, pour une fois depuis bien longtemps, je me sentais confiante et n'éprouvais pas la moindre crainte. Le haut-gradé fronça des sourcils mais se détourna, comme si ce que je venais de lui dire n'avait pas tellement d'importance.
Il jeta ensuite un regard dédaigneux à l'opposant d'Aldo. Le jeune garçon aux cheveux brun clair était dans un sale état, mais il tenait bon et restait éveillé, malgré ses souffrances et la douleur de sa défaite.
— Votre compte est bon, Télio. Dès que vous serez rétabli, vous dégagez ! Vous n'avez rien à faire dans ce camp militaire !
Ce dernier grimaça et cacha ses prunelles grises derrière ses paupières, dévasté par la nouvelle. Au vu de ses blessures, je devinai qu'il n'avait pas la force de se révolter face à cette décision.
Aldo, de son côté, ne disait rien, mais son visage transparaissait de nouveau la colère. Je savais qu'elle n'était pas à l'encontre de ce Télio, mais envers celui qui venait de clamer cette sentence.
— Alors virez-moi aussi ! osa-t-il dire, se relevant pour affronter ce dernier droit dans les yeux.
L'expression du militaire se transforma du tout au tout et je crus qu'il assénerait un coup à mon ami.
— Nous formons des soldats, ici, pas des rebelles ! tonna l'homme, visiblement agacé par tant de désinvolture à son égard.
— Si Télio doit partir, alors je pars aussi ! déclara Aldo, montrant ainsi que la peur ne l'atteignait pas.
Il se pencha d'ailleurs vers le jeune blessé et l'aida à se relever en le soutenant sous l'aisselle.
— Pardon ? lâcha le gradé, interloqué. Songez à votre carrière, soldat ! Vous avez un avenir prometteur dans cette formation !
— J'y ai déjà pensé. Je ne serais toutefois jamais capable de continuer en sachant que l'on a éliminé un homme dans nos rangs à cause de moi. Je suis peut-être idiot de tirer un trait sur un futur qui m'accueille à bras ouverts, mais je ne veux pas poursuivre cet entraînement en me mettant encore plus à dos mes camarades. Télio a toute sa place au sein de cette base. Si vous ne reconnaissez pas la persévérance et le courage dont le soldat Lewis a fait preuve, alors je suppose que vous ne comprenez pas les valeurs qui nous animent tous deux. Si vous le radiez, je quitterai aussi le cantonnement.
Mon ami se tut pendant l'espace de quelques secondes, les yeux rivés sur son supérieur, avant d'ajouter avec sérieux :
— Vous l'avez dit vous-même, Lieutenant. À la fin de ce combat nous devrions être des frères d'armes.
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SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la Rébellion
ParanormalAfin de limiter le risque de ruiner toute forme de suspense, il n'y aura aucun résumé sur ce tome. ⚛ LE RESTE DE LA SAGA SIGMA ENERGY ✅ SE T1 - L'Étincelle de Liberté ☑ SE T3 - Les Cendres de l'Ultime Combat ☑ SE T4 - Les Vestiges de l'Avenir