CHAPITRE 12 - Lise [2|4]

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Nous étions enfin sortis de cette salle à l'odeur de poussière et de sueur. Je n'aimais pas l'aura qui en émanait. Quelque chose me laissait penser qu'Aldo et Télio n'étaient pas les premiers à s'y être affrontés. Et qu'ils ne seraient sans doute pas les derniers.

J'avais l'intuition que des soldats ne s'étaient pas seulement battus ici : certains y avaient perdu la vie.

Je frissonnai. Cette idée m'épouvantait, mais je la balayai de mon esprit, de la même façon que toutes ces choses auxquelles je m'interdisais de penser.

J'observai les locaux de la base, mal à l'aise. Les couloirs avaient tous le même aspect : du béton dur, brut, et des poutres en acier solide. Un dégradé de gris et de métal.

Je n'aimais pas ce sentiment d'oppression qui m'étreignait depuis que j'étais entrée. Sous ses airs de garnison ordonnée et respectueuse, je percevais une ombre. Celle de la barbarie, de la violence et de la compétition.

L'odeur de soufre et de poudre ne faisait qu'accentuer mon malaise. Je serrai un peu plus la main de Zoé dans la mienne. Comme moi, avait-elle senti la cruauté de ces lieux ? Je ne parvenais pas à le dire, tant son esprit restait pour une fois fermé : le comportement d'Aldo l'avait beaucoup perturbé.

Je regrettais presque de ne pas l'avoir prévenu avant de venir. Si je me fiais à son attitude, elle s'attendait à des retrouvailles touchantes et emplies d'émotions. Un instant hors du temps où nous nous serions serrés dans nos bras, comme de vieux amis d'enfance qui se seraient perdus de vue.

J'avais conscience que je cherchais à la ménager en lui dissimulant la vérité. Peut-être aurais-je dû agir autrement ? Je me refusais toutefois de lui révéler tout ce que j'avais découvert à propos de notre ami.

Elle n'aurait pas supporté.

Dans mes recherches pour mettre la main sur lui, j'étais tombée sur des articles de journaux, effroyables, racontant les sordides attaques perpétrées ces dernières semaines.

J'ignorais comment j'avais fait le lien, comment j'avais su que c'était lui. Peut-être parce que tout concordait ? La date de nos réveils, les agressions qui n'avaient lieu que la nuit – le seul moment où les militaires avaient le droit de sortir – et les appels succincts au service des urgences... Je ne pouvais pas douter.

Un véritable criminel n'aurait jamais pris le soin d'alerter les secours.

Mon regard coula sur le dos d'Aldo, courbé. Je ne savais pas comment il en était arrivé à une telle extrémité. Ou peut-être que si finalement. Pour évacuer toute la peur qui obscurcissait son âme, Aldo avait choisi de répliquer ainsi.

Je ne donnais pas d'excuses à son comportement, mais cela ne m'empêchait pas de le pardonner. Je l'aimais trop pour prétendre renoncer à notre amitié. Nous avions tous réagi à notre manière. Cela avait été la sienne.

J'ignorais vers où nous nous dirigions, mais Aldo semblait le savoir. Je remarquai que, plus nous avancions, plus le boyau s'élargissait et s'éclaircissait, comme si nous regagnions la terre ferme après avoir passé une éternité en enfer.

Aldo commençait à trébucher, la fatigue tirant ses traits et voilant son regard. Sa colère fulgurante face à son supérieur avait l'air de s'être envolée en même temps que son énergie. Instinctivement, je lâchai la main de Zoé, pris le deuxième bras de Télio pour le passer au-dessus de mon épaule et aidai ainsi Aldo à le supporter. Il me remercia d'un signe de tête, incapable de prononcer le moindre mot, les lèvres craquelées par la déshydratation. Il faisait peine à voir.

Mon cœur se serra tandis que de vagues réminiscences de mon passé me revenaient. Une phrase resurgit parmi tout le reste et je me retins de pleurer. Je me détestais d'avoir oublié le prénom de notre leader, de ne pas réussir à m'en souvenir.

« Protège-les, Lise » m'avait-il dit autrefois.

Cette fois-ci, j'avais échoué.

Je manquai de me vouter à mon tour, rongée par la culpabilité. Comment pouvais-je me prétendre être leur mère de substitution à tous si je n'étais même pas en mesure de les soutenir ? Ce fut pourquoi je me redressai, droite, comme si rien ne m'effrayait. J'avais pourtant l'impression d'être un papillon pris au piège dans une toile d'araignée, battant frénétiquement des ailes pour m'en sortir alors je ne cessais de m'engluer davantage.

Télio était dans les vapes et je voyais bien qu'il essayait de ne pas tourner de l'œil. Il tentait de mettre un pied devant l'autre, alors même que ses jambes se dérobaient à chaque fois.

À cet instant, peu m'importait si je ne savais rien de lui, de qui il était et de ce qu'il avait fait pour en arriver à affronter Aldo. Il était blessé, nous ne pouvions pas le laisser comme ça, l'abandonner à son sort.

Je profitai d'un arrêt pour laisser Aldo respirer, tandis que Zoé, toujours muette, pris son relais. En passant ma main libre sur le front de mon ami, je ne pus que constater à quel point il était brûlant. Nous devions accélérer.

En tournant la tête vers le visage de Télio, je le vis entrouvrir les yeux et aperçus ses iris grises entre ses paupières.

— Merci, chuchota-t-il de sa voix rauque. Merci de vous soucier de moi et d'être venu pour Aldo.

Je repérai une petite bille d'eau se former au ras de ses cils, brillante comme la lumière artificielle des néons. Je ne connaissais pas la raison pour laquelle il pleurait, mais je préférai dévier le regard pour ne pas l'embarrasser dans ce moment de faiblesse.

— Chut, ne parle pas. Préserve-toi. Je suis sûre que tu vas t'en sortir, lui soufflai-je avec douceur.

Il dodelina doucement de la tête, les yeux de nouveau clos.

Après une centaine de mètres durant lesquels nous avions longé d'immenses baies vitrées donnant sur l'extérieur, nous arrivâmes devant une porte épaisse et solide, à la dureté adamantine. Un petit panneau indiquait qu'il s'agissait de l'infirmerie.

Au point où il en était, je me demandais si, au final, Télio n'aurait pas plus sa place dans un hôpital plutôt qu'ici. Mais, comme nous devions faire au plus rapide, Aldo toqua et poussa le battant.

La pièce, immense, était baignée de lumière, rendue grise par les nuages occultant le soleil. Plusieurs lits étaient disposés contre les murs, séparés par des rideaux aux nuances kaki et beige, tandis que de nombreuses chaises étaient rangées soigneusement dans un coin. Au fond de la salle, une porte séparait cette zone de repos à l'aile médicale.

— Bonjour ! s'exclama subitement une femme dans mon dos. Vous tombez à pic, soldat Widlan, je vous cherchais !

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 02, 2023 ⏰

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