Chapitre 1 ~ Derrière la porte

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« Tu es là ? »

Pas de réponse. La peur me comprime la gorge et la promesse que j'ai faite à ma mère, huit ans auparavant, résonne douloureusement dans le silence. J'aurais dû continuer à veiller sur ma sœur mais, au fil des ans, ça me semblait de plus en plus absurde.

« Léonie, tu es là ? »

Une inquiétude croissante pointe dans ma voix. Aveuglée par la semi-pénombre qui règne sur le couloir, ma raison cède la place à une angoisse diffuse. Mon imagination et mes souvenirs peignent sur les murs d'improbables tableaux ; des sons indistincts envahissent le couloir, sifflant à mes oreilles. Veille sur elle. Elle aura besoin de toi, Théo.

Non, non, non. Rien de tout ça n'est réel, je dois me ressaisir. Je pose la main sur la poignée de la porte et me raccroche à ce contact. Tout va bien. Ou, du moins, rien ne va mal. Pour l'instant.

« Léonie ? » répété-je d'une voix plus aigüe qu'à l'ordinaire.

Ce n'est vraiment pas normal. Je consulte l'emploi du temps accroché à la porte de sa chambre. Elle finissait à quinze heures trente aujourd'hui et n'a laissé aucun mot indiquant qu'elle rentrerait plus tard sur l'ardoise accrochée à la poignée dans ce but – à moins que Victor ne l'ait effacé, mais il doit quand même avoir passé l'âge de ce genre d'enfantillage. Aucune raison qu'elle ne soit pas là. Et pourtant, il est vingt heures quinze et ma sœur ignore mes appels depuis dix minutes. Marie ne sait plus si elle l'a entendue revenir à la maison.

« Je vais devoir entrer... »

S'il y a une chose qui pourrait être inquiétant chez quelqu'un de plus instable que Léonie, c'est sa tendance au secret. Elle ne me raconte rien si je ne lui pose pas de questions et elle m'interdit fermement l'accès à sa chambre. Un spectateur non averti des moments que nous partageons certaines nuits nous verrait probablement comme deux étrangers tant nos relations sont distantes en-dehors de ces quelques heures.

« Désolé, Léonie, j'entre. »

Je n'ai pas le choix, son absence est vraiment inquiétante. Elle ne m'a envoyé aucun message pour me dire qu'elle allait chez un ami, et ce n'est pas dans ses habitudes de traîner après les cours. Si je n'avais pas été concentré sur ce foutu devoir, j'aurais remarqué plus tôt qu'elle n'était pas rentrée ! Malgré moi, je me revois à dix ans, attendre en vain... Non, c'est ridicule. Tous les adolescents font des bêtises, il faut bien que Léonie passe par là à son tour. Ou alors elle est juste dans sa chambre avec ses écouteurs sur les oreilles.

Je pousse doucement la porte de son sanctuaire. Depuis quelques années, elle ne tolère pas les intrusions. Raphaël attribue cela à l'adolescence, Marie prétend que c'est inquiétant. Je ne sais pas trop quoi en penser, mais j'ai respecté sa décision et je ne suis plus jamais entré dans sa chambre.

Je pénètre dans la pièce sur la pointe des pieds, sans savoir qui je crains de déranger. Les rideaux sont tirés, mais le faible rai de lumière provenant du couloir me suffit pour voir le lit vide et le bureau inoccupé. Léonie n'est pas ici. Je m'apprête à quitter la pièce, mais en me retournant vers la porte, j'aperçois une carte du monde affichée dessus. Étrange : ma sœur n'a jamais manifesté d'intérêt pour la géographie. Je regarde la carte de plus près et constate qu'une punaise est plantée à l'emplacement de la France, au sud-est, non loin de Lyon il me semble. À quoi cela peut-il lui servir de marquer l'endroit où elle habite ? Je souris en me souvenant que, plus jeune, elle rêvait de faire le tour du monde. Peut-être a-t-elle simplement indiqué sa première étape.

Mais ça fait si longtemps... huit ans, en fait, qu'elle n'a pas évoqué son envie d'aller visiter « tous les pays de la Terre entière ». Elle ne me dit plus rien.

Les larmes de la lionneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant