Samain au Yeun Elez | Halloween

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Mon verre à la main, je prends le temps d'observer le ciel tandis que mes amis festoient non loin. Il n'est pas très tard, mais le soleil se couche déjà, remplacé par l'astre de la nuit qui pointe le bout de son nez. Nous entamons le troisième jour de célébration de la Samain*. La bière, l'hydromel et le vin coulent à flots depuis le début des festivités. Ce soir, c'est la pleine lune, nous fêtons Halloween et le Nouvel An celtique. Les quelques enfants du village ont terminé le recel de bonbons et sont rentrés chez eux. Le feu de joie, alimenté par de nombreuses palettes, crépite dans la clairière au bord de l'Ellez et nous tient chaud. Lui, et les breuvages que nous ingurgitons, grisés par cette fête que nous aimons tant.

Parmi mes amis et autres convives de chez nous et des communes avoisinantes, nous retrouvons les habituels vampires, loups-garous, zombies, diables et démons divers. Plus rare, un Ankou traîne sa charrette en quête d'âmes perdues et certaines jeunes filles ont revêtu le costume des lavandières de nuit en référence au folklore de notre région, des revenantes habillées de blanc.

Pour ma part, je porte un costume de sorcière d'un autre temps avec une robe longue en lin écru qui me couvre les pieds. Un corset noir à lacets croisés marque ma poitrine. À cela s'ajoute une longue cape en laine noire avec un capuchon si profond qu'il peut entièrement masquer mon visage.

Mes camarades et moi sommes originaires de Brennilis, petite commune du Finistère inintéressante, si ce n'est qu'elle possède une ancienne centrale nucléaire aujourd'hui à l'abandon et qu'elle est bordée par le mythique Yeun Elez*. Cet ancien marécage abriterait le Youdig*, trou béant entre le monde des vivants et celui des morts. Enfin, selon la légende, prétexte pour organiser cet événement annuel du 31 octobre afin de nous réunir.

Disséminés à droite et à gauche pour nos études et nos vies respectives, nous revenons chaque année à la Toussaint chez nos parents, qui vivent encore dans cette cuvette humide entourée de monts et de landes brumeuses. Le meilleur endroit du monde pour célébrer la fête des Morts.

Nous avons pris soin de décorer la clairière et son bois comme il se doit. L'Ellez étant la rivière des damnés, cet endroit est le lieu parfait. De fausses toiles d'araignées s'étirent entre les arbres, des lanternes accrochées aux branches sont recouvertes de draps blancs, des bougies brûlent dans les citrouilles sculptées disséminées un peu partout pour nous éclairer, de fausses pierres tombales se dressent lugubrement devant des amas d'os, des sacs poubelles rembourrés font office de cadavre et, au centre, l'immense feu de joie fait luire les yeux rouges des korrigans imprimés en 3D. Point besoin de générateur de brouillard, la brume est quasiment permanente par chez nous en cette saison et recouvre naturellement la rivière. Pour parfaire le tableau, des enceintes hurlent du heavy metal grâce au groupe électrogène qui les alimente.

Assis sur de faux cercueils faisant office de bancs, je savoure ce moment. Nathaël vient se poser à côté de moi et m'entoure les épaules de son bras.

— Alors, belle sorcière, prête à te faire mordre par l'amour de ta vie ou à brûler sur le bûcher ? me susurre-t-il à l'oreille d'une voix suave.

— Prends garde à toi, mon loup-garou adoré, répliqué-je en plongeant mon regard dans ses yeux émeraude. Je pourrais te jeter un mauvais sort pour t'éloigner.

— Tu n'oserais pas. N'oublie pas que tu es ma future femme, me taquine-t-il en déposant un baiser sur mon front.

Lorsque nous étions ados et lors de cette même fête, il avait brûlé une de ses mèches de cheveux dans le feu de joie pour découvrir l'identité de sa future femme, comme le mythe indiquait de faire. D'après lui, c'était moi. À l'époque, ce plan drague juvénile avait fonctionné. Je l'aimais depuis notre plus tendre enfance et, ce jour-là, il avait fait chavirer mon cœur. Grand, les cheveux bruns en bataille retombant autour de son joli minois, les yeux verts malicieux, un sourire enjôleur, une capacité naturelle à attirer la sympathie, j'étais sous le charme. Malheureusement, notre histoire n'a pas passé le lycée. Nous nous aimions, néanmoins, il aimait encore plus séduire et faire tomber les filles dans ses bras, et dans son lit. Il m'a trompée, et je l'ai détesté. Mais c'était aussi mon meilleur ami. Alors je lui ai pardonné.

Lε ოօղძε ძε մოἶ - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant