On part en live

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Assise sur mon rocher face à la mer, guitare dans une main et médiator dans l'autre, je me noie dans mes souvenirs.

Je pince les cordes et joue quelques accords. Cette chanson de Blankass dans ma tête résonne tellement en moi depuis quelques jours, me tordant les tripes, me broyant le cœur.

Je gratte.

On a quinze ans toi et moi
Et quelque chose qui nous brûle les doigts
On est dans un drôle d'état
Entends-moi, entends-moi

J'avais justement quinze ans lorsque nous nous sommes rencontrés, à l'époque. Jeunes et insouciants. Jeunes et cons, très cons. Je te revois les cheveux en bataille avec ton violon, les joues roses à cause des applaudissements du public dans la salle, alors que tu donnais une représentation avec ton père dans le restaurant de notre hôtel. Je croyais que tu étais timide, quelle idée me suis-je faite de toi. Tu m'as charmée, et tu es parti. Je me revois le lendemain, si triste de ce bref instant ensemble, quand la réceptionniste m'a tendu ce bout de papier avec ton adresse et ton numéro de téléphone fixe. Je n'y croyais pas.

Moi, je voudrais être avec toi
Mais je ne peux plus entendre
Que tu ne peux plus attendre
Qu'est-ce qu'on fait de ça ?
Dis-moi qu'est-ce qu'on fait de ça ?

C'est toi qui m'as cherchée, qui m'as attrapé dans ton piège telle une vulgaire souris attirée par du fromage. C'est toi qui m'as embarquée dans ce merdier de sentiments gluants qui m'a bouleversée. Je voulais tellement être avec toi, tu en as profité pour faire de moi ta prisonnière. Prisonnière de ce que je ressentais, prisonnière de tes étreintes, prisonnière de toutes tes belles paroles... Pourquoi m'as-tu laissé tes foutues coordonnées ce soir-là ? Tu as mis ma vie sens dessus dessous, et je ne sais pas encore si je t'en veux ou si je te remercie pour ce joyeux bordel.

Il faudrait mordre le temps
Trouver le geste manquant
On est encore des enfants pourtant
Mais rien n'est plus comme avant

Des enfants, c'est ce que nous étions. Deux ados qui se faisaient autant de bien que de mal. Je me suis brûlé les ailes, pourtant j'aimais ta façon de m'embraser et ce simple toucher, juste tes doigts sur ma peau qui frissonnait. J'étais à ta merci, mon âme était à toi. Mais le vent a tout emporté, même toi.

Tu m'as empoisonné l'esprit, toujours si craquant sur scène, toujours fougueux en dehors, si intense dans nos échanges. Après notre premier baiser, après notre première fois, rien n'était plus comme avant, ton venin coulait dans mes veines. Tu as tout pris de moi, et je t'ai tout donné volontairement.

Je gratte toujours. Les paroles de Mauss me percutent tel un raz-de-marée que je me prendrais en pleine gueule, où l'écume serait les souvenirs que tu m'as laissés, comme une mousse blanchâtre pleine de bulles à éclater. J'aimerais tellement pouvoir éclater mes souvenirs comme on éclate une simple bulle...

Et comme avant, j'en rêve
De tes silences...
Mais comme avant, j'en perds la trace
C'est bon maintenant, j'en rêve
De tes confidences
Mais comme avant, j'en perds la trace
Mais c'est bon maintenant
Lâche-moi
Relâche-moi

Ce jeu du « je t'aime, moi non plus »... Un coup ensemble, un coup à se détester, avant de recommencer, encore et toujours. À croire que nous aimions nous faire du mal. Et j'en redemandais en plus. J'étais accro, accro à toi, à ta voix, à tes mains sur mon corps, à ta bouche, à nos moments ensemble, à ta musique. Toujours à t'attendre devant la scène, pauvre groupie que j'étais, pour t'y retrouver derrière ou dans un coin à l'abri des regards lorsque tu terminais de jouer, pour nous chercher, nous titiller, nous embrasser et toujours plus, car affinités. Nous partions en live, transportés par la spirale infernale de la passion dégoulinante qui nous consumait. Une chanson de plus, j'avais toujours besoin d'une chanson de plus de toi, j'avais toujours besoin de toi. Reprenant les paroles de Beartooth, je gratte.

Lε ოօղძε ძε մოἶ - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant