Ma tête vibre, je peine à ouvrir un œil. Où m'étais-je encoreassoupi cette fois ? Je sens ma tête bourdonner, si bien que jefini par lâcher un grondement sourd. Je cache mon visage dans cetoreiller à l'agréable odeur de poussière et d'effluves provenantd'innombrables personnes ayant posé leurs oreilles dessus avant moi.Dehors, le brouhaha résonnait, je me sens tellement mal... Qu'est-ceque j'avais bien pu foutre toute la nuit encore pour finir dans unétat pareil ? Je reste calé sous les draps pendant de longuesminutes avant de m'obliger à en sortir en hâte, filant de touteurgence aux toilettes. Je finis accroupi devant les w.c et l'odeurqui y émane m'aide clairement à faire ressortir le trop-plein quime retournait l'estomac.
« Quelle magnifique gueule debois, j'avais presque oublié pourquoi je me dis à chaque fois queje ne recommencerais plus »
Je me redresse péniblement,essuyant un peu de salive au coin des lèvres et me rattrape dejustesse au lavabo situé étroitement à côté de moi. Je souffle,je sais d'ors et déjà que la journée va être terriblementlongue...Je ne sais même pas quelle heure il peut-être, et je mesouviens encore moins du jour auquel je dois me situer. Est-ce que jetravaille ? Peut-être... Au pire, ça sera un énième emploique je perdrai, j'en retrouverai un autre. Et ça doit êtrecertainement les restes de l'alcool qui me pousse à relativiserautant alors que j'avais passé plusieurs mois au chômage parce quepersonne ne voulait de moi. Finalement, je me décide à relever latête pour admirer les dégâts du soir précédent. Bon, cette fois,je n'arborais pas de magnifiques traces de lutte, je ne me suis pasbattu. Par contre j'affichais une gueule, parce qu'à ce niveau, jene pouvais même plus le définir comme un visage, à en faire fuirplus d'uns. De majestueuses cernes retombaient sous mes yeux bleuscomplètement éclatés... Joli contraste à regarder de plus près,le teint blafard, les lèvres sèches...Encore un peu et on meproposerait une place au prochain casting du prochain film d'horreuren liste, quoiqu'au moins je pourrais gagner convenablement ma vieavec ce genre de job...
« Mais qu'est-ce que tu me bavesdu con ? »
Je secoue la tête, il fallait quej'arrête de divaguer comme ça parce que ça commençait à en êtreflippant. Je passe une main sur mon visage et soupire, quelle bellemerde je devais faire à cet instant... Plus bas que ça, c'étaitdifficile à réaliser. J'ouvre le robinet, l'eau gelée venant buterdans le fond de l'évier et m'éclabousse, foutue pression. Ramenantmes mains en coupe, je penche ma tête vers l'avant et m'envoie unebonne douche froide. Un léger gémissement retentit, me ramenantbien vite à la réalité. Les idées un peu plus claires et levisage surtout trempé, je me redresse et me fixe à nouveau. Mouais,on dira que ça fera l'affaire... Je fronce soudain les sourcils, ily a quelque chose de louche sur mon corps.
« C'est quoiça ? On a essayé de me bouffer cette nuit ou je fabuleencore ? »
Je redresse le menton, découvrant unhématome, une tâche bleutée plaqué dans mon cou. Je ramène undoigt et grimace, c'est que ça fait mal en plus de ça ! Comment nem'en étais-je pas rendu compte avant ? Je devais avoir un peutrop la tête dans le... Enfin, j'étais encore beaucoup trop fatiguépour le voir. Pourtant, je n'avais rien d'autre sur le visage, pasune égratignure... Alors qu'est-ce que je faisais avec ça moi ?Bon, tant pis, de toute manière je ne me souviens d'absolument rien,et tenter de m'en rappeler me donne la migraine du siècle. Le visageencore humide, je finis par me décider à quitter cette pièce quicommençait à me donner de nouveaux haut-le-cœur et repartm'asseoir sur le lit. Je n'avais plus que mon boxer sur moi, le restede mes vêtements étaient éparpillés un peu partout dans lachambre. Je ramasse une chaussette au pied du lit et la redressedevant mon visage d'un air blasé, je n'allais pas aller bien loinavec ça moi. Je commence à chercher le reste, mon jean, l'autrechaussette, mon t-shirt qui puait l'alcool et marquées de plusieurstaches. Heureusement, mes chaussures étaient rassemblées près dela porte d'entrée, je gagnais un peu de temps ainsi. Je commence àles enfiler avec tout l'effort du monde, parce que mon corps mesupporte à peine, et je peux comprendre. À sa place, je me seraisdéjà cassé bien loin pour trouver un proprio un peu plus soignéet digne que moi. Je faisais littéralement n'importe quoi avec :drogue, alcool, sexe, je devrais avoir honte, je crois. Mais en fait,je m'en fiche, c'est ma carcasse et j'en fais ce que bon me semble.De toute façon, ce n'était pas comme si elle était si précieusepour la société. Un mec lambda, un mètre quatre-vingt pourquatre-vingt-trois kilos, Cheveux châtain qui ne sait pas trop oùse situer au bout de cette tête vide et un regard bleu fade et sansvie. Mouais, mon pedigree n'était pas fameux.
De l'autrecôté de la porte de cette chambre, je pouvais entendre quelquesvoix. Certainement un groupe de jeune qui avait aussi passé une nuitd'enfer et qui s'était enfin décidé à partir. Je devraispeut-être en faire de-même d'ailleurs, un bon bol d'air me feraitun grand bien, je crois. J'avais pu finir le jeu du « habillela poupée de chiffon », et même si ma face donnait l'envie de mevomir dessus, je me considérais prêt à sortir de ce trou. Jevérifie une dernière fois avoir tout sur moi, ça serait cond'oublier quelque chose dans cette chambre qui ne tarderait pas àêtre louée par je-ne-sais-qui. Et c'est bien connu, ce qui estoublié dans ce genre de lieu est perdu à jamais. Alors autantprendre soin de vérifier deux fois.
« Porte-feuille,check. Clés, Check. Cerveau...Bon, on va faire avec. »
Jetitube légèrement, mais j'arrive encore à tenir sur mes guibolles.Je m'avance jusqu'à l'entrée et enfile mes chaussures plutôtcrasseuses, joli résultat d'un mélange d'alcool, mêlé à de laterre et poussière. Finalement, j'ouvre cette foutue porte, bienvite happé par l'air glacé de janvier. Je ne savais pas vraimentdire si j'aimais ou non cette sensation, mais dans tous les cas ellem'oblige à grimacer et à fermer les yeux, beaucoup trop lumineux.Je passe une main sur mon front, j'ai la sensation qu'unmarteau-piqueur me martèle la cervelle...Je m'avance pour partirloin de cet endroit, mais je me retrouve bien vite à reculer enhâte, butant contre la porte alors qu'un espèce de mastodonte passeavec une minette à son bras.
« Oh connard, fait gaffeoù tu poses le pied ! »
La nana glousse,évidemment, elle était satisfaite après avoir été utiliséecomme un vulgaire jouet pour une nuit. En tant, normal, j'auraisrépliqué, mais je connaissais les limites de mon corps. Et là, jen'étais vraiment pas en mesure de me frotter à quelqu'un, mêmes'il s'agissait d'un nain unijambiste. Je préfère me taire et lelaisser partir avant de reprendre mon chemin. Je passe en un coup devent à l'accueil pour déposer la clé puis quitte leslieux.
Maintenant, je dois retrouver ma caisse, ça prometd'être drôle tiens... Je ne me rappelle même plus où je m'étaisrendu la nuit précédente. Et en plein centre-ville, autant dire quec'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Je tente del'ouvrir à distance, espérant que par miracle les phares se mettentà cligner au loin. Je jure entre mes dents, j'avais juste l'envie derentrer chez moi et me jeter dans le canapé pour ne plus en bougerde la journée. Je crois avoir passé plus d'une heure à lachercher... Et finalement, elle était garée sur le parking d'uneboîte de nuit, certainement là où j'avais fini par me poser. Là,quelques flashes me reviennent. Beaucoup de bruits, de la musique àrendre fou et un monde à ne plus voir ses pieds. Ca hurlait, ças'amusait... Et moi, j'étais seul attablé au bar avec un énièmeverre dans la main. Je déprimais, je crois... Ouais, je m'enrappelle maintenant. Elle m'avait quitté, cette connasse. Non, nonKlaus...C'est toi-même qui l'a mérité. Parce que tu as fait lecon. Elle était douce et adorable, elle voulait me sortir de cemerdier et moi...Bah, j'ai fait n'importe quoi. Et finalement elle afinit par rencontrer un mec qui la valait vraiment et m'a lâchésans un regard en arrière. Je le sais, je l'ai mérité, mais ça nem'a pas empêché de l'utiliser comme excuse pour pouvoir me bourrerla face à ne plus savoir où je me trouvais. Je l'aimais cettefille, c'est vrai. J'avais tourné autour d'elle pendant plusieursmois avant d'enfin lui avouer mes sentiments. Je pensais qu'avecelle, je pourrais démarrer une nouvelle vie, celle d'un mec bienavec un bon taff, clean dans tous les sens du terme... Mais l'appel àla décadence à été bien plus forte.
Alors je m'étaisretrouvé seul à ce bar, à boire encore et toujours plus. Jevoulais oublier, me vider la tête, ne plus savoir qui j'étais. Jedésirais simplement me libérer de mon propre corps...Et ce qu'ils'est passé ensuite reste tel un trou noir. Je ne sais plus commentj'ai fini dans ce motel, comment j'ai attrapé cet hématome nonplus. Bah, je finirai bien par m'en rappeler à un moment ou à unautre.
Je m'avance jusqu'à ma voiture, une vieille Clio qui adéjà pas mal vécu. Je ne suis pas hyper fortuné, alors autantdire que je suis heureux d'en avoir eu une d'occas' pour une bouchéede pain. Bon, évidemment elle possède son lot de problèmestechniques, mais tant qu'elle roule, c'est ce qui compte. Je m'yenfonce, ou plutôt me jette littéralement sur mon siège etenclenche le moteur. Un vrombissement quelque peu rassurant s'yéchappe mais j'en ai l'habitude, elle a toujours fait ça. Jem'engage bien vite sur les routes, par chance mon appartement ne sesitue pas bien loin d'ici. Avec la gueule de bois que je me tape,autant dire que je ne suis pas prêt pour une longue virée. Histoired'un peu mieux m'éveiller, j'allume le poste radio, Musiqueendiablée à fond les oreilles, je me souviens bien rapidement decette putain de migraine qui ne manque pas de me rappeler sonexistence.
« Fais chier, même mon corps n'a pas envied'être compatissant...»
Après une bonne dizaine de minutes,j'arrive enfin en bas de mon immeuble, une vieille bâtisse à moitiédélabrée par le temps. Sanitairement parlant, ce n'est pasl'extase, mais au moins j'ai un toit. Je gare mon véhicule sur lebas-côté et m'y extirpe dans un râle, impatient de retrouverrapidement mon canapé. Je cherche à tâtons mes clés tout enm'avançant dans le couloir principal. Une merveilleuse odeurd'humidité vient à m'accueillir alors que j'entends dans lespremiers appartements une énième fois les cris du vieux couple endispute. Je me demande d'ailleurs comment ils ne se sont pasentre-tués depuis le temps... Enfin bref, ce ne sont pas meshistoires. Je monte d'un pas lent les marches menant à l'étage,j'en ai deux à faire ainsi. Je ne me rappelais pas que c'étaitaussi haut, ou alors est-ce dû au fait que j'ai encore plusieursgrammes d'alcool dans le sang ?
J'arrive finalement àmon étage, haletant comme un cinquantenaire ayant fumé dix paquetspar jour pendant toute sa misérable existence. Un bref instant, jesuis encore à me promettre de ne plus me bourrer la gueule àl'avenir... Mais je sais parfaitement que je ne résisterais pas àla première occasion. Cette sensation d'ivresse est bien tropextatique. Ne plus être soi, ne plus se soucier du monde et de lamerde dans laquelle on saute un peu plus chaque jour. Saoul, tu neréfléchis plus, tu vis à fond tes émotions et dans le meilleurdes cas, tu ne te rappelles même pas ce que t'as fais... Beaucoup meverraient comme un connard à penser de la sorte, mais pour toutavouer, je m'en carre royalement.
Je pousse la porte de monappartement et m'y engouffre rapidement. Je manque de m'étaler enbutant contre une paire de chaussures traînant au sol, râlant demon propre désordre. Je vois alors au loin mon canapé qui semble àcet instant m'accueillir à bras ouverts et comme un con, je souriscomme s'il s'agissait de ma femme.
« Qu'est-ce que tuas pu me manquer toi ! »
Je m'y jette sansménagement, un fracas plutôt inquiétant résonnant à mon contact.Bon, peut-être que je devrais arrêter de faire ça, un beau jourles pieds finiront par céder et je n'ai pas les moyens de m'enreprendre un autre. J'enfouis rapidement mon visage dans lecoussin, hume cette délicieuse odeur de tabac froid qui me plaîttoujours autant. Pour certain, c'est celui de l'essence, chacun sonplaisir. Je n'ai plus aucune envie de bouger de là, je suis dans moncocon, ma bulle. Rien ni personne pour m'atteindre, seul avecmoi-même. Je rêve de pouvoir y rester à jamais, ne plus devoirsortir et affronter le monde extérieur qui ne veut pas d'un déchethumain tel que moi. On tente de me tirer d'affaire par le biais dutravail et des relations humaines, mais il n'y a rien à faire. Jesuis destiné à vivre ainsi, tel un rat dans son égout. Et je m'ysens bien, du moins, je m'efforce de penser ainsi. Tant que j'ai untoit, ça me suffit. Tout le reste m'importe peu, de toute manièrece n'est pas comme si toutes ces futilités m'étaientindispensables. Le jour, je travaille ou je dors, le soir, je bois.Je finis par me vider la tête et perds toutes notions du temps et dulieu où je me situe. Oh ça, combien de fois n'ai-je pas fini au sold'une ruelle dépouillé, et le visage en sang ? C'est grisant,déprimant mais enivrant. Parce que pendant ce court instant, je medis que je suis visible, que certains m'ont remarqués même si c'estpour m'enfoncer la tête contre le sol. D'ailleurs, c'est un exploitque je finisse dans un lit, bien que je ne me rappelle absolument pasde ce qu'il a pu s'y passer... Avec de la chance, peut-être que j'aipassé la nuit avec une magnifique femme qui se serait évadée aupetit jour ?
«Rêve pas trop mon grand, t'as plus dechance de finir avec une vieille morue désespérée ou à quatrepattes sous un gros tas obscène !»
Je ris, mais non pas dejoie. Je me déprime moi-même. Comment pourrait-on redresser unhomme tombé si bas ? C'est purement impossible, on aura beautout tenter, je serai indéniablement attiré vers le fond. On aespéré plus d'une fois, mes parents, cette fille, et tous on finitpar lâcher prise et m'abandonner. Maintenant, rien ne me retient ensoi, mais je ne considère pas encore avoir tout perdu pour pouvoirquitter ce monde de merde sans regret. J'y ai pensé, plus d'une foisd'ailleurs. Un soir même où j'avais pu me dégoter un peu d'herbe,je m'étais « amusé » à établir une liste des mortsles plus ridicules. Comment mettre fin à ce court-métrage sordideen ayant l'air le plus stupide au possible ? Parce que je saisque c'est tout ce dont je mérite. Crever la bouche ouverte ensouffrant, et peut-être même pleurer aux derniers instants en merendant compte à quel point mon existence était une belle erreur,une comédie orchestrée pour que le héros ne le soit plus.
Jefinis par me retourner sur ce canapé, le regard perdu au plafond.Durant un bref instant, je me perds dans mes pensées et divague.Quelle aurait été ma vie si je n'avais pas décidé moi-même de lafoutre en l'air ? J'aurais certainement continué mes études,je me serais investi à fond pour entrer à l'université et obtenirpar la suite le travail de mes rêves. J'aurais rencontré sur lecampus l'amour de ma vie, nous aurions fondé ensemble notreavenir... Une belle maison, de beaux enfants et certainement même unmagnifique Golden Retriever, parce que je kiff cette race de chien.J'aurais vécu paisiblement, sans problèmes d'argent ni dedépression. Mes enfants grandiraient heureux et m'offriraient lachance d'être grand-père. Et je finirais mes jours en ne regrettantrien, fermant les yeux pour la dernière fois un sourire sincère aux
aux coins des lèvres en me disant que toute monexistence aurait servi à quelque chose.
Pourquoi la vieest-elle aussi injuste ? Pourquoi ne peut-elle pas être belleet heureuse pour chacun d'entre nous ? Il ne suffit d'un rienpour détruire tous nos rêves et plonger la tête baisée vers lecauchemar. Et de mes idylles, je me retrouve dépossédé de tout,avenir et espoirs. Ce n'est pas vivre, mais survivre. Je me batscomme je peux pour ne pas atteindre le fond qui m'attireinlassablement. Et pourquoi m'accrocher alors que je sais que jamaisje n'arriverai à remonter cette pente glissante ? Peut-êtreparce qu'au fond de moi, il existe encore ce grain d'espoirs qui medirait un jour que je me trompe, et que moi aussi, je pourrai sourirecomme tout le monde, vivre comme tout le monde sans regrets niremords, sans éprouver la moindre tristesse et colère...
VOUS LISEZ
Corps et âme
VampireQue vaut l'existence lorsque l'ont touche le fond du trou ? Quand on perd tout espoir de pouvoir remonter à la surface ? Et quels sont les chances qu'un parfait inconnu nous sauve au bord du gouffre nous propose un pacte ? "Ton sang contre ta vie" m...