even if i have to die for you || bungou stray dogs

"tourner la page„ [chuuya, dazai]

La pluie tombait depuis plusieurs heures déjà sur la ville endormie de Yokohama. Quelques minutes avant l'aube, lorsque les braves gens dormaient encore, lorsque les mafieux et criminels en tout genre partaient se coucher, leurs besognes nocturnes effectuées.

Chuuya appréciait cette heure. Un interlude de calme et de paix après les détonations des armes à feu et l'odeur du sang, avant les cauchemars et les réveils en sueur.
Un instant de répit, une bouffée d'oxygène, juste le temps de ne penser à rien, d'oublier.

Oublier la perte, la peine, la haine.
Oublier la douleur de la solitude.
Oublier la cause de ses souffrances.
Oublier Osamu Dazai.

Détruire le souvenir de son visage parfois souriant, parfois grave.
Tuer l'écho de son rire moqueur résonnant dans ses oreilles.
Brûler la sensation persistante de sa peau contre la sienne.
Annihiler son odeur envoûtante qui flottait encore dans son appartement.

Réduire à néant le spectre des années passées. Juste tout oublier du brun et des moments qu'ils avaient partagés.

Les gouttes de pluie s'écrasaient sur la fenêtre dans une explosion de petits bruits secs, irréguliers. Coulaient le long de la vitre, laissant des traînées humides de l'autre côté du verre froid.

Arrêter de réfléchir. De penser, de ressasser.

Le regard aussi vide que le cœur, Chuuya sentit sa tête dodeliner jusqu'à ce que son front entre en contact avec la fenêtre. Le jeune homme ferma les yeux, savourant la fraîcheur du verre contre sa peau, laissant la fatigue qui alourdissait chaque parcelle son corps prendre le dessus.

Le rouquin aurait probablement dormi appuyé contre la fenêtre dans une position plus qu'inconfortable si la sonnette stridente de la porte d'entrée n'avait pas soudainement résonné dans le silence de son appartement. Il ouvrit les yeux dans un sursaut et secoua la tête, essayant de dissiper les brumes du sommeil.

Repoussant une mèche de cheveux derrière son oreille, il se leva et se dirigea vers l'entrée, non sans traîner des pieds car encore à demi endormi. Un état de somnolence qui ne dura que quelques instants, car une fois que Chuuya eut abaissé la poignée, ouvert la porte et relevé les yeux pour apercevoir autre chose que les chaussures de son visiteur, toute trace de fatigue avait quitté son visage et ses yeux.

- Dazai.

Un léger sourire étira les lèvres du brun et les mains du rouquin se crispèrent sur la pauvre poignée en métal.

- Chuuya. Je peux entrer ?

Question idiote. Le mafieux savait que quelle que soit la réponse, son partenaire -ancien partenaire se corrigea-t'il intérieurement- ne le laisserait pas dormir en paix tant qu'il n'aurait pas dit ce qu'il avait à dire, ou fait ce qu'il avait à faire.

Esquissant un pas de côté, le rouquin laissa entrer celui qui avait abandonné la mafia quelques jours plus tôt. Celui qui était parti sans un regard, sans un mot, sans même un adieu ou une promesse de retrouvailles. Rien ; c'était comme si le plus jeune capitaine de l'histoire de la mafia portuaire de Yokohama avait disparu, avait été effacé.

Mais Dazai était là, se tenant debout au milieu de son appartement comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Et peut-être que ça l'était après tout. Peut-être que le brun n'avait pas abandonné la mafia. Peut-être qu'il était simplement parti s'isoler pour remettre ses pensées au clair après la mort de son ami. Chuuya se surprit à espérer que tous ces "peut-être" soient vrais. À prier des dieux auxquels il ne croyait même pas que rien n'avait changé.

Mais lorsque Dazai se retourna vers lui après quelques secondes de silence et lui adressa un sourire plein de douceur, un sourire apaisé -pas le sourire qu'un criminel était autorisé à esquisser-, le petit roux sut que plus rien ne serait comme avant. Il sut que le jeune homme lui faisant face était parti de la mafia pour ne jamais en revenir, tirant définitivement un trait sur son passé au sein de la pègre. Et Chuuya aurait pu se réjouir pour le brun si le passé de celui-ci n'avait pas tant d'autres facettes.