Bien à toi

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 À genoux devant la tombe fraîchement creusée, je pleure longuement. Mon ami le plus cher s'est suicidé, et je n'ai rien pu faire. Je n'ai rien vu. Je n'arrive toujours pas à réaliser que je ne le verrai plus. Je ne reverrai jamais son sourire ; je ne lui ferai jamais plus d'étreintes chaleureuses et familiales ; finis, les films à quatre heures du matin, l'un contre l'autre en parlant et en mangeant n'importe quoi. Il a mis fin à ses jours, et me voilà impuissante, face à ce nom gravé dans la roche, avec en dessous 2002-2021. Je fixe longuement la dernière demeure de mon ami. La pluie se met à tomber. Les deux frères de mon ami, qui étaient restés jusqu'à présent en arrière, s'approchent de moi et placent leurs mains sur mes épaules. Je me relève et rentre avec eux. Je ne parle à personne et m'enferme dans ma chambre. Sur mon lit, la lettre m'attend.

Flashback

La sonnette retentit dans le dortoir. Je me lève en criant que j'y vais pour le signaler à mes colocataires, et je vais ouvrir la porte. Je suis surprise en y découvrant derrière un policier. Je m'incline, il fait de même. Il a l'air attristé. Et lorsqu'il me demande si je suis bien Rory McSin, j'ai un très mauvais pressentiment. J'acquiesce à l'entente de mon nom, et ma chute libre commence. Le policier s'exprime  :

« Vous connaissez bien Mr Kim Jonhun ?

-Oui, tout à fait... Que se passe-t-il ?

-Il... Il a mis fin à ses jours, madame. Ce matin même. ». Je me fige. Mes mains commencent à trembler et je lutte pour rester debout. Certains de mes colocataires, ayant entendu que je parlais, sont venus voir si tout allait bien. Je demande d'une voix faible :

« Mais comment... ?

-Il s'est pendu. ». Je n'arrive pas à soutenir le regard désolé du policier et ferme les yeux pour empêcher les larmes de couler. L'officier me dit que la date de l'enterrement me sera communiquée, avant d'ajouter :

« Il... Il a laissé ceci pour vous. ». Je relève les yeux et vois la lettre qu'il me tend. Je la saisis délicatement avant de le remercier, de fermer la porte, et de me laisser glisser contre. Les larmes coulent d'elles-mêmes et je commence à pleurer de plus en plus fort. Thomas et Louis, qui sont les plus proches, se précipitent, s'assoient chacun d'un côté et me serrent dans leurs bras. Je suis dévastée.

Présent

Je saisis la lettre que je n'ai pas osé ouvrir depuis cinq longs jours, et inspire un bon coup. Je fixe longuement mon prénom écrit. À la vue de son écriture, de l'écriture de Jonhun, avec qui j'avais une connexion hors du commun, je sens déjà le flot de larmes venir, mais je me retiens et ouvre l'enveloppe. J'en sors une feuille. La lettre est écrite à la main. Je déplie le papier et dois prendre une grande inspiration pour ne pas craquer. Je commence à lire doucement.

"Rory.

Je ne te demande pas de comprendre. Parce que je ne pense pas que malgré tous tes efforts, tu puisses vraiment me comprendre. Je sais que tu vas m'en vouloir. Je sais que tu vas vouloir hurler et aller me chercher dans mon cercueil pour me réveiller et m'étrangler toi-même. Mais ce que je sais, surtout, c'est que tu vas te sentir coupable et que tu vas essayer à tout prix de trouver les raisons de ma disparition. C'est pourquoi je te demande de ne pas chercher à me comprendre. C'est sûrement mieux si tu ne sais pas ce qui m'a poussé à faire cela. Ne te sens pas coupable, Rory. Tu as toujours été là pour moi et je t'en suis éternellement reconnaissant. Ce n'est pas ta faute. Ce n'est pas toi. Parce que tu n'es pas l'unique raison de mon existence et de ma mort. En revanche, tu as été celle qui m'a retenu le plus longtemps. J'aurais sûrement pris cette décision des mois plus tôt si je ne t'avais pas rencontrée. Mais tu es arrivée. Tu as débarqué dans ma vie, tu étais cet élément perturbateur, celui que je n'avais pas prévu et encore moins pris en compte. Tu t'es simplement assise à côté de moi dans la classe en me saluant et en me demandant comment je m'appelais. Moi qui étais plutôt timide et sérieux dans mes études, j'ai complètement changé après t'avoir rencontrée. Tu m'as aidé à m'affirmer. Grâce à toi, j'ai pu découvrir des facettes de moi que je n'imaginai même pas posséder. Tu m'as aidé à dire non, tu m'as aidé à apprécier la vie, tu m'as aidé à exister. Et tu m'as également donné du courage. C'est ce courage que je vais utiliser pour commettre ce que je m'apprête à commettre demain. Ne sois pas triste. Je ne veux pas que tu le sois. Tu as tout pour être heureuse. Je n'étais qu'un bout de ta vie. Ne dit-on pas que la vie est faite d'allées et venues ? Je suis venu et j'en vais m'en aller. Ne pleure pas, s'il-te-plaît. Je sais que cela va être dur, du moins je le suppose, car je suppose que tu éprouvais de l'affection pour moi, tu me l'as suffisamment montré durant cette belle amitié. Tu as été, et tu restes la personne la plus importante de ma courte vie. Tu sais, je n'ai absolument aucune explication à te donner, même si je voulais t'en donner une. Je ne suis pas dépressif, j'ai une vie calme et aisée, j'ai une famille et quelques amis, une maison, à manger, un bel avenir... Et avec toi j'ai eu une vie mouvementée de bêtises de gosses, de sorties idiotes, de courses-poursuites à travers la ville... je n'ai pas eu une vie ennuyante, et ceci grâce à toi et uniquement toi. Ne crois pas que je pars en étant triste. Je pars heureux. J'ai tout un tas de souvenirs que je me remémore en t'écrivant cette première et dernière lettre. Je repense à toutes ces soirées qu'on passait en boîte avant d'aller chez nous et de nous retrouver ivres morts à chanter comme des abrutis à quatre heures du matin dans le parc pour enfants à côté de chez moi. Je repense à toi qui venais me réveiller certains matins chez moi avec des croissants et un klaxon avant de m'embarquer pour une journée de folie dans des endroits plus insolites les uns que les autres : fête foraine, mer, montagne, grotte, océan, je crois que tout y est passé. Je repense à nos sorties shopping qui finissaient toujours à neuf heures du soir avec des sacs plein les mains et notre plafond de carte bleue explosé. Je repense à l'anniversaire surprise que tu m'as préparé, avec toi et plein d'amis. On s'en était pris une belle de gueule de bois, là aussi. Je repense aux messages que tu m'envoyais, comme ça, me disant que tu m'adorais et me traitant de tous les noms par la suite car je te rendais niaise. Je repense aux fois où nous avons pleuré, ensemble, toi parce que tu te disputais avec ton copain et moi parce que je ne comprenais pas ma vie, malgré tous mes efforts. Je repense à tout ça et je souris, Rory. Je crois que c'est l'un des sourires les plus honnêtes et les plus rayonnants que j'ai pu faire. Je repense à toi, tout simplement : à ton sourire qui fait remonter tes joues, à tes yeux qui pétillent, à toutes tes idées folles, à ta capacité d'emmerder le monde quand l'envie de faire quelque chose te vient... J'ai décidé d'emmerder le monde, moi aussi. J'emmerde le monde, j'emmerde la vie, j'emmerde les gens ! Aujourd'hui je prends la seule vraie décision qui m'importe et que je peux prendre de moi-même. Je ne me donne pas la mort parce que je ne veux plus vivre, je me donne la mort parce que je n'ai pas l'impression de vivre. Je ne comprends pas pourquoi je suis là. Je ne vis pas. Les seuls moments où j'ai vécu, je veux dire réellement, où je me suis senti exister, ce furent ceux que j'ai passé avec toi. Alors merci à toi. Merci d'avoir été mon amie, merci de m'avoir fait exister. Merci de m'avoir fait découvrir la plupart des choses que je ne connaissais pas. Continue de vivre, Rory. Continue, car tu apportes la joie et le rire où tu passes. Je veux que tu continues de rendre les gens heureux. Fais-le pour moi, s'il-te-plaît. Vois cela comme ma dernière volonté. Rends les gens heureux, Rory, car je sais que nous voir heureux te rend heureuse. Essaye de ne pas m'oublier. Viens me dire bonjour, parfois. Qui sait, peut-être que ma conscience sera à tes côtés et verra à nouveau ton beau visage ? Merci encore. Je te suis reconnaissant. Laisse-moi partir, Rory. Ne cherche pas à trouver des moyens de me faire revenir. Il faut que tu acceptes de me laisser m'évader. Je pense à toi.

Bien à toi,

Jonhun"

Je serre le papier entre mes mains, les traces de mes larmes rejoignant celles que mon ami a laissées en écrivant. J'ai la rage, je bouillonne, et je suis si nostalgique de tous ces moments... Je m'en veux tant. Je sais que je devrais me dire qu'il est plus heureux là où il est, mais je ne suis pas idiote. Quand on est mort, on l'est pour de bon. On n'est ni heureux, ni malheureux. C'est le cœur lourd que je me traîne à la fenêtre pour regarder les étoiles. Les légendes chinoises racontent que les âmes deviennent des astres une fois que l'enveloppe charnelle a disparu. Jonhun y croyait. Le cœur serré, les larmes dévalant mes joues, je me surprends à espérer que les légendes disent la vérité. Je murmure une dernière fois le nom de mon ami avant de rentrer, épuisée, et d'essayer de dormir pour tout oublier. Peut-être qu'en me réveillant, j'aurai un message de lui. Je regarde mon fond d'écran nous représentant, et je ferme mes yeux, oubliant tout ce qu'il s'est passé. Demain est un autre jour.

Bien à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant