Chapitre 6 : O

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Tout était bruyant autour de moi, c'était insupportable. Tout était incompréhensible, mes oreilles bourdonnaient. J'essayai de comprendre ce qu'il se passait, de me concentrer sur les sons. Dans le même temps, j'essayai timidement d'ouvrir les yeux mais me ravisai aussi tôt. J'avais sommeil. Je voulais dormir. J'ignorai qu'on viendrait aussi m'importuner dans la mort.

Alors que je tentais de faire abstraction des sons assourdissants qui me parvenaient, je compris un mot : « merde ». Ma première réaction fut de me dire que j'étais sûrement arrivée en enfer, puisqu'à ma connaissance, aucun dieu ne jurait. Cette voix m'était familière, pourtant je n'arrivais pas à savoir où je l'avais entendue. À ce moment-là, je n'arrivais même plus à savoir qui j'étais ni ce que je faisais. Je n'arrivais pas à me concentrer plus de quelques secondes et je replongeai dans les limbes.

J'avais l'impression de flotter dans quelque chose qui n'était pas de l'eau, peut-être était-ce des nuages. J'étais finalement au paradis alors ? Maintenant que j'y pense, apparemment mes oreilles captaient bien des bruits mais par contre aucune image n'arrivait à se former dans mon cerveau. J'étais pourtant sûre d'en avoir eu la capacité à un moment, mais là où j'étais, tout était noir et mes yeux étaient hermétiquement clos.

C'est là que j'entendis un autre mot : « putain ». Décidément, le gars qui gardait ces lieux tenait un langage fort peu châtié. C'est alors que je pensai à mon père, il était vrai qu'il avait l'habitude de parler ainsi, une image lointaine et déformé me vint à l'esprit. Apparemment, j'arrivais enfin à voir des souvenirs, mon cerveau n'était pas tout à fait flingué. Je revis mon père et ma mère travailler dans notre ferme quand j'étais petite, ces temps-là étaient plus simples, je me demandai si j'allais bientôt pouvoir les revoir ou si on avait décidé de me garder indéfiniment dans cet endroit que je ne parvenais pas à comprendre. Les souvenirs de mon enfance qui me revinrent à l'esprit m'emplirent de sérénité. Je souhaitai alors ne plus jamais sortir de cet endroit si cela me permettait de revivre ces instants de bonheur et d'insouciance pure.

Je sombrai une nouvelle fois. Je ne sais pas combien de temps s'était écoulé (si tant est que le temps existe encore) avant que je n'entende une nouvelle fois cette voix : « putain Hana ». Hana ? Qu'est-ce que c'est un « Hana » ? Tout alla à toute vitesse dans ma tête, ça me fit l'effet d'un électrochoc. 

C'est moi. Oui, je me souviens, c'est mon nom. Qui m'appelle ici ? Qui est là ? J'eus l'impression d'ouvrir les yeux mais ne vis que du noir, la même obscurité qui m'enveloppait jusque-là. Alors je voulus me tourner, voir ce qu'il y avait derrière moi, mais je ne pouvais rien faire. Mon corps n'existait plus, je ne pouvais rien sentir.

Les bruits stridents se firent alors plus intenses et je commençai à paniquer. Une fois de plus, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. L'instant d'avant tout était calme et là j'eus l'impression de me faire secouer comme un pommier. Je ressentis peu à peu comme une grande douleur dans tout mon corps, si vive qu'elle me donna envie de hurler. J'étais incapable de faire quoi que ce soit pour que cela s'arrête. Pendant un instant, j'ai pensé qu'on me punissait pour toutes les fautes que j'avais commises dans le passé. J'avais dû en faire de belles pour qu'on m'inflige pareille douleur.

Une nouvelle fois, la voix me parvint : « Hana reste avec moi, c'est pas le moment de dormir ». Dormir ? Je souffrais trop, bien sûr que j'allais dormir, je n'avais aucune envie de rester éveillée. Seulement, une forte pression sur mon épaule me fit ouvrir les yeux. Pour de bon cette fois. Je n'y voyais toujours rien mais l'obscurité disparut pour laisser place à un flou complet. Je distinguai uniquement une forme vaguement humaine devant moi. J'essayai de tendre la main vers cette forme mais je me rendis compte que tout mon corps était devenu lourd comme du plomb. Je secouai alors la tête et elle heurta quelque chose de dur derrière moi, j'étais apparemment assise contre un arbre.

— N'essaie pas de bouger, reste tranquille, m'avait-on ordonné d'une voix qui se voulait autoritaire mais dans laquelle je pouvais sentir de la détresse.

Depuis tout à l'heure, les choses s'étaient déroulées à toute vitesse sans que je ne puisse rien y faire. Mon cerveau s'emballa quand je compris que quelque chose de grave était arrivé et que je n'étais pas morte. Alors, tout devint clair, enfin pas tout, mais je compris à qui appartenait la voix que j'entendais depuis tout ce temps. J'essayai de rétablir ma vision complètement brouillée pour en avoir le cœur net. Il me fallut plusieurs battements de cils pour enfin voir apparaitre les traits de l'homme qui me faisait face.

— Levi ? arrivai-je à prononcer dans un souffle à peine audible.

Sa tête était baissée, il avait l'air de bricoler quelque chose où était censé se trouver mes jambes. Je baissai aussi la tête péniblement et vis que ma jambe droite était fendue de part en part et que Levi s'efforçait de recoller les morceaux. À cette vue, je fus de nouveau prise de panique. Les larmes me montèrent aux yeux et je compris pourquoi je n'avais plus de sensations dans le bas de mon corps.

Je pleurai alors à chaudes larmes alors que Levi me murmurait des mots de réconfort et d'encouragement, sa voix était tellement basse que je me surpris à penser que ces mots ne m'étaient peut-être pas destinés, finalement.

— Laisse-moi ici, c'est dangereux, parvins-je à dire entre deux sanglots.

Je ne sais pas depuis combien de temps j'étais là mais des titans devaient encore se balader dans les environs.

— Pas question, j'ai pas fait tout ça pour te laisser maintenant, me répondit-il avec une pointe d'agacement.

— Laisse-moi je te dis, je suis trop faible. Je vais pas m'en sortir.

Il ne sembla pas m'écouter et termina de suturer la plaie comme il pouvait.

— T'es un putain d'idiot, m'efforçai-je de lui hurler, complètement envahie par le chagrin.

Sans prévenir, il me souleva la jambe, ce qui m'arracha un autre cri de douleur.

— Je te conseille d'éviter de hurler si tu veux pas qu'on se fasse buter ici tous les deux, m'asséna-t-il alors qu'il tentait de faire un bandage autour de ma plaie.

Ses gestes étaient rapides et affolés. Clairement, nous n'étions pas hors de danger là où nous nous trouvions.

— C'est pour ça que je te dis de me laisser, imbécile.

— Ferme-la, garde tes forces pour plus tard.

Il se leva d'une traite et siffla son cheval. Ensuite, il décrocha sa cape et la passa autour de mes épaules et je sentis mes pieds décoller du sol (ce qui est sans doute une bonne chose), lorsqu'il me souleva pour me hisser sur son cheval.

Appuyée tout contre son torse, je pouvais enfin sentir un peu de chaleur alors que le monde qui m'entourais était froid et austère. Je m'agrippai de toutes mes forces à lui et il fit galoper son cheval.

— On rentre.

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant