Chapitre 1.04

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Sa voix résonna, forte et claire. Aucune réponse, pas même un mouvement ne vint y faire écho. Le regard embué, elle chassa d'un battement de paupières les gouttelettes restées accrochées à ses cils. Sa respiration dessinait des volutes de fumée dans l'air, soufflait, s'éteignait, reprenait de plus belle, haletante, inquiète et tendue. L'eau clapotait délicatement contre sa poitrine, mais derrière l'enveloppe le cœur battait à tout rompre, cheval lancé au galop à l'instar de ses poursuivants qui pouvaient l'avoir rattrapée. Elle regagna la berge à la hâte, et enfila avec empressement une robe de coton blanc, fluide étoffe qui se colla à sa peau encore humide, la chevelure dégoulinante d'une ondine glacée le long de son échine. Cette étrange impression qui la saisissait, l'insistance entêtante d'un regard qu'elle ne parvenait à localiser. Un dernier coup d'œil au lac, d'où les cygnes avaient désormais disparu. Pas l'ombre d'une vie.

— Inutile de vous cacher, je sais qu'il y a quelqu'un, reprit-elle dans une assurance feinte.

Elle rassembla ses affaires sales et éparpillées qu'elle enfouit, distraite, dans sa besace. Grelottante, elle n'en demeurait pas moins efficace, son expérience d'il y a quelques jours lui ayant au moins permis d'acquérir un instinct de fuite en situation de danger qui dès lors ne l'avait pas quittée. Emma n'était pas une guerrière, pas même une athlète, en avoir conscience signifiait remédier à ce manque par une prise de décision en conséquence. Un cor résonna dans le lointain, qui acheva d'éveiller ses craintes. Un lapin détala non loin d'elle, proie apeurée lui aussi. Dans sa poitrine des palpitations sourdes, douloureuses. Elle assista impuissante, pénétrée d'un sentiment prégnant de malaise, à la course folle d'un cerf, roi de la forêt saisi de panique, gracieux, superbe encore dans sa détresse, débouchant dans la clairière, bondissant, volant presque, et dans son sillage une meute de chiens, masse organisée, les crocs tendus vers un même but, aboiements sonores perçant le silence. Dans le calme trompeur de la forêt, pas un instant Emma n'avait envisagé avoir trouvé refuge si près de la civilisation humaine et de la violence que celle-ci s'évertuait à déployer. En elle ce lapin, ce cerf, la fuite sans trêve, perdue lorsque les forces s'évanouissent. Les cavaliers sur leurs montures ne tardèrent pas à apparaître à leur tour, vêtus de leurs plus beaux vêtements d'apparat, fiers et avides, sanguinaires sous leur apparente élégance. L'un d'eux tourna la tête dans sa direction et aperçut la belle Ophelia, rescapée mais non moins apeurée. La jeune femme recula par automatisme puis, reprenant ses esprits, détala aussi vite que ses jambes et sa robe le lui permettaient, s'élança vers la ramure protectrice des arbres, seul refuge possible pour les individus traqués de sa condition. Derrière elle, le galop du cheval au martèlement terrible qui résonne dans sa poitrine, la panique qui saisit chaque parcelle de son être, le souffle court, les pensées désordonnées. Lever le pied, éviter la branche, plus vite, encore, attention à ne pas glisser, avance insuffisante. S'imaginer ce que devait ressentir le cerf, lui pourchassé pour sa vie, lorsqu'elle, ignorait ce qu'elle fuyait. Abandonnant sa course, elle profita de l'ombre d'un saule pour se cacher et observer, reprit tant bien que mal son souffle, penchée en avant, les mains posées sur les genoux, les poumons en feu. Toujours limitée physiquement.

Pas de trois (L'or et le fer, tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant