Alexa, joue : Pause de Prateek Kuhad
— Si je pars ce soir, sauras-tu composer avec mon absence, Gabrielle ?Je plonge mes yeux dans les siens. Le lustre en verre au-dessus de sa tête rend plus vif le marron de ses prunelles, me donnant le sentiment de pouvoir trouver assez de profondeur pour m'y perdre, le temps d'un instant, afin d'y marquer l'empreinte de mon passage éternellement.
En façade, je souris, même si à l'intérieur, je suis brisée rien que d'imaginer son ultime départ.
— Ce soir, c'est la fête de l'amour, pourquoi ne pas simplement profiter ?
En guise de réponse, un sourire sincère s'étale sur ses lèvres, et si je suis parfaitement honnête, ce rictus m'apaise.
Je pose le dernier bol rempli d'olives farcies sur le plateau de service en bambou. Fernando les a déjà quasiment finis, mais tant pis.
Il sort la bouteille de Dom Pérignon en accompagnement. Nous l'avons acheté il y a un mois de cela, spécialement pour ce soir. Bien que ce ne soit pas une fête qu'il affectionne, il fait toujours l'effort pour que je passe un moment agréable.
En revenant avec la bouteille et deux verres près du plan de travail, il se cogne futilement le front contre le lustre.
— La malédiction du lustre est toujours d'actualité, on dirait, déclare-t-il en posant ses mains dessus pour l'empêcher de vaciller.
Je souris en me remémorant toutes les fois où il se l'est pris dans la tête, et moi par la même occasion. Tellement de fois que ce lustre en verre censé avoir cinq colonnes pendantes n'en a plus que quatre, aujourd'hui.
— Je regrette de t'avoir cru quand tu as dit que faire l'amour dans la cuisine serait mémorable, déclaré-je en soulevant mon plateau.
Fernando prend le pas en direction de la terrasse et je le suis en l'écoutant :
— Quand tu regardes les choses sous un autre angle, la soirée a quand même été mémorable.
— Je l'ai passé à l'hôpital à me faire suturer la cuisse, cela n'a rien de mémorable, chéri.
Une fois sur la terrasse, nous déposons boissons et apéritifs sur la table basse en bois. Par terre, j'ai installé des coussins moelleux et des lanternes orange pour créer une ambiance intime.
Nous nous asseyons à même le sol malgré le canapé derrière nous.
— Ce soir, nous étions censés faire l'amour et on a fini par discuter toute la nuit. C'est mémorable. C'était la première fois en cinq mois qu'on se reparlait vraiment et à mon sens, c'était positif. D'autant plus, qu'on a pu réparer les pots cassés, hein ?
Fernando incline sa tête pour me regarder, l'air de chercher mon approbation. Malheureusement, je ne garde pas le même souvenir joyeux. Mes réminiscences sont plutôt tournées vers les larmes. La partie invisible de notre iceberg a été mise à découvert ce soir : et ce fut une épreuve compliquée, d'autant plus que je devais encore me rappeler malgré moi que l'homme que j'aimais m'avait trahi.
— Quand ça fait trop longtemps qu'une chose est brisée et que l'on ne remarque les dégâts que plusieurs temps après, il est toujours plus difficile de la réparer. Car, on ne sait plus assembler le puzzle à cause des pièces qui se sont dispersées, de celles qui se sont perdues en chemin... et de celles qui se sont encore disloquées alors qu'elles étaient déjà assez infimes.
Le léger pli de ses sourcils m'indique que ma confession le laisse confus. Il prend une faible inspiration et cesse notre contact visuel pour regarder le mur blanc crème en face, orné d'éclairages décoratifs. Le seul bruit à cet instant est l'ambiance sonore que j'ai lancé plus tôt dans la soirée. Le disque joue aléatoirement toutes les mélodies de notre mariage.
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Souvenir Étoilé
Short StoryL'amour a son lot de surprise, et le plus souvent, tout n'est jamais tout blanc ou tout noir, car chacun y apporte un peu de soi pour toucher, faire vibrer ou blesser. Chose absolument pas négligeable, d'autant plus que ce passage dans la vie d'une...