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Aujourd'hui


Le soleil se lève sur Carthage et le golfe de Tunis. J'observe, le regard perçant, les lumières se chevaucher sur la mer d'huile et les voitures de touristes se presser pour aller sur les sites archéologiques de toute beauté. Aujourd'hui est une grande journée, celle que j'attends depuis ce qui me semble être des millénaires. J'avale le fond de ma tasse de café. Il faut que je me prépare si je veux ne pas être en retard, et tout retard impliquerait forcément que le déroulé des événements soit perturbé... Je revêt une chemise bleu fluide et un pantalon noir et laisse mes cheveux détachés. Un trait de crayon sur mes yeux, une fine couche de mascara et de poudre matifiante plus tard, je jette un coup d'oeil aux valises qui m'attendent dans l'entrée de l'appartement. J'ai rendu les clés hier et c'est maintenant que je quitte cet endroit qui m'a servi de refuge ; quelque part, cela me fait bizzare de tout laisser derrière moi. Je contemple les pièces vides, trop silencieuses à mon goût. La salle de bain qui est devenue ma meilleure alliée contre les journées de chaleur étouffante. Ma chambre, le lit où j'ai pleuré, rit, douté, pendant des années. La cuisine dans laquelle j'ai appris à faire des plats tunisiens. La pièce de vie, là où j'avais toute mon installation, mon ordinateur, mon plan, tout mon futur entre les mains. 

Il y a trois ans, quand j'ai quitté Londres pour Carthage, je n'avais rien. Juste les revers d'une dépression soignée au fil des mois en Angleterre ainsi que l'héritage de ma tante et cette envie de fuir mon pays à tout prix. La destination initiale devait être le Caire mais une série d'attentats m'a fait changer d'avis et j'ai choisi Carthage, ville tranquille en périphérie de la capitale, site historique de grande ampleur, au bord de la mer. Que j'aie fui au Caire ou ici, la métaphore était la même, le but était le même ; mettre la plus grande distance physique et psychique entre moi et mon traumatisme. Entre moi et l'Angleterre, ce pays qui m'avait pourtant vue grandir et qui avait séché mes larmes, mais qui abritait aussi la pire période de mon existence. Il me fallait mettre un désert entier entre moi et cette nuit de cauchemar et prier sincèrement pour que les choses se passent bien dans ma nouvelle vie. Rester à Londres après ce qu'il m'était arrivé fut la plus grosse erreur de ma vie car je me suis obstinée à repousser mes blessures comme si rien n'était arrivé, avant de me retrouver internée en hôpital psychiatrique à ma propre demande pour avoir un suivi psychologique. Une fois guérie, j'ai retrouvé le peu de conscience que j'avais et lorsque j'ai commencé à faire des recherches, j'ai compris que j'avais accidentellement mis les pieds dans une marre de boue et de sang gigantesque. Alors j'ai pris mes jambes à mon cou, recommencé une nouvelle vie, puis j'en suis venue à imaginer ce plan totalement fou. 

Et c'est aujourd'hui qu'il se réalise. Je soupire, ferme les volets de l'appartement et me saisis de mes clés. Mon sac à main avec tout ce dont j'ai besoin pour le voyage, mes valises dans l'entrée et ma bonne volonté avec moi, j'apelle le taxi pour savoir si il est bientôt arrivé. Après confirmation, je règle les derniers détails et revient dans ma chambre pour ouvrir mon deuxième ordinateur portable. Je me connecte à ma session, ouvre un logiciel et accède après une dizaine de minutes à mon propre programme, créé sur mesure par mes soins. J'écris les dernières lignes et quand j'entend enfin les pneus crisser en bas de chez moi, j'appuie sur " exécuter ". C'est non sans une pointe de panique que je ferme mon ordinateur et m'empare de toutes mes possessions avant de claquer la porte et de descendre, le coeur battant.

- Sabahu al-Khair, je lance au conducteur.

- Sabahu al-Khair, me répond t-il en claquant la portière. Tu va où ce matin ? 

- L'aéroport de Tunis-Carthage, je répond en chargeant mes valises dans le coffre. 

Il ferme le coffre et me dit de m'installer derrière. 

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