11.

362 32 0
                                    

Je ne sais pas combien de temps on reste assis sur ce banc, mais j'aimerais que le temps se fige.  Je me sens bien.  Même quand Raphaël rompt le silence pour me poser la question que j'espérais éviter, ça n'ouvre pas les vannes.

— Comment tu gères, Elise ?

— Comment je gère quoi ? je demande alors que je sais très bien de quoi il parle.

— Tu sais... Benoit !

Je prends une grande inspiration.  Je ne parle jamais de Benoit, à part avec les filles, et encore, c'est assez rare.  C'est douloureux, et j'essaye d'éviter.  Toutefois je vais lui répondre quand même, peut-être que ça va me faire du bien d'en parler avec quelqu'un de totalement extérieur.

— Je gère au jour le jour... j'ai pas vraiment le choix, mais il y a du progrès.  Avant, au tout début, j'ai perdu pied, complètement.  J'étais pire qu'une loque.  Puis, avec le temps, je me suis rendue compte que je gérais petit à petit, une heure après l'autre.  Des matins ça allait et l'après-midi je m'effondrais.  Ensuite, ça a été des journées que j'ai réussi à passer sans sombrer dans la folie de la douleur...

— Et maintenant ?

— Il me manque.  Il me manquera toujours, il sera toujours l'amour de ma vie.  Mais j'ai compris récemment qu'on peut avoir plusieurs amours dans sa vie, et qu'il ne voudrait pas que je reste à pleurer le reste de mes jours.  Je m'effondre encore de temps en temps, certains jours sont plus difficiles que d'autre, mais je peux penser à lui et sourire.  Je peux regarder des photos et rire des souvenirs qui y sont liés.  Les larmes sont presque taries, et même si mon cœur sera toujours brisé, au moins en partie, je dois continuer à avancer, pour lui, et pour moi.

— C'est arrivé il y a deux ans, c'est ça ?

Je confirme d'un hochement de tête.

— Et depuis, tu n'as jamais...

— Jamais quoi ? je lui demande alors qu'il n'achève pas sa phrase.

— Jamais eu de... relation ?  Ou d'aventure ?

— Non.

Son visage exprime un tel choc que je ne peux pas m'empêcher de rire.  Un rire nerveux, incontrôlé qui se transforme en fou-rire.  C'est ridicule.  Quand je me reprends enfin, je lui dis:

— Désolée, mais tu avais l'air tellement choqué.

— C'est juste que... Deux ans sans sexe ?  Rien du tout ?

— Rien du tout.

— Tu m'étonnes que tu sois à cran...

Je ne sais même pas quoi répondre à ça.

— Je rigole Elise ! se sent-il obliger de préciser.

Je ne sais pas s'il le disait vraiment pour plaisanter, néanmoins, je réalise qu'effectivement, ça fait long, deux ans sans sexe.  Je n'y pense pas souvent parce que je ne ressens plus de désir, simplement...  Finalement, Camille le déteste, et pourtant, ils partagent au moins une chose en commun: il me trouve stupide.

— Tu dois me trouver bête hein.

— Bien sûr que non enfin.  C'est juste que je n'imagine pas ce que ça doit être.

— Oui, je me doute que tu ne vois pas ce que ça peut faire de rester aussi longtemps sans rapport, toi que j'ai surpris à sauter une fille dans un cagibi lors d'une soirée.

Je lui fais un sourire pour adoucir mes propos, mais cette image m'est revenue d'un coup sans que je la sollicite.

— Oh pitié, la honte.

— Tu rigoles ou quoi ?  Tu étais la star parmi tes potes.

— Waouh !  J'ai sauté une fille et ça fait de moi une star ?

— Eh, c'est pas moi qui le dit, je me souviens juste que je ne pouvais pas passer près de quelqu'un sans en entendre parler, c'est tout.

— Bref, passons.  Le fait est que je ne parlais pas de sexe, mais juste... d'intimité... d'amour quoi...

Je le regarde en soulevant un sourcil dubitatif.

— Oui bon d'accord, je parle aussi de sexe, mais pas que.

— Je ne sais pas quoi te dire.  Je n'en ai pas ressenti le besoin, c'est tout.  Benoit et moi... enfin... tu sais...

— Non, je sais pas.

— Eh bien, je n'ai jamais fait l'amour qu'avec lui.  Alors m'imaginer coucher avec un autre homme ça me fait... bizarre.  J'aurai l'impression de le tromper, tu comprends ?

— Honnêtement ?  Non, je ne comprends pas.  Je ne peux pas comprendre ce que tu as vécu, mais je ne pense pas que rester chaste jusqu'à la fin de tes jours soit la solution.  Tu es jeune, tu ne vas quand même pas porter le deuil jusqu'à ta mort.

— Bien sûr que non, mais il me fallait un peu de temps pour admettre que j'ai le droit d'être à nouveau heureuse... dans les bras de quelqu'un d'autre.

— Et tu l'as enfin admis ?

— Disons que je commence à l'envisager.

Oui, je l'ai envisagé en pensant à Samuel.  Je serais hypocrite de ne pas me l'avouer, j'ai songé à lui plus souvent que je ne veux bien l'admettre, sans parler de l'homme qui se trouve à côté de moi et qui m'a toujours perturbée, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. 

Je frissonne.  Je ne sais pas si c'est parce que la nuit s'est rafraichie ou parce que je prends conscience de beaucoup de choses ce soir, mais Raphaël l'interprète comme un signe qu'il est temps de rentrer.

Il est plus de trois heures du matin quand on monte en voiture.  Il met le chauffage en marche avant que je le lui demande et je m'installe confortablement.  Il n'a pas encore fait demi-tour que je m'endors.

Une seconde chance (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant