Rubie n'écouta aucun des mots encourageant du Président qui souhaitait à tous les combattants un destin favorable. Était-il foncièrement idiot pour parler de la sorte ? Ne savait-il pas qu'un seul Homme peut sortir victorieux d'une partie de poker ? Et quand le prix final est le pouvoir absolu, la mise est souvent la vie.
Avem était une ville d'automne, brumeuse, couverte de nuages et dont l'odeur humide rappelait une pluie battante. Ces habitants portaient tous les jours de l'année ce bronzage passé d'une rentrée des classes, décoré de cernes bleutées et d'un sourire empli de regrets. Dans cette monotonie quotidienne, l'arène brillait de toutes ces couleurs éclatantes qui décorent les feuilles tombant des arbres. A vivre une vie continuellement endeuillée, les gens finissent par faire de la mort leur unique divertissement. L'espèce humaine était décidément faite d'une multitude de paradoxes, et Rubie les détestaient tous autant.
Elle n'avait jamais aimé assister à ce genre de spectacle. Dans le brouillard du monde, elle était son propre soleil, et cela lui suffisait. Elle jalousait le temps où les chefs étaient élus à coup de bulletins de vote et de dépouillements. Aujourd'hui, le banal ennuie d'une cité allait lui faire perdre tout ce à quoi elle tenait.
Les premiers rayons du jour percèrent enfin le ciel nocturne. Le Président disparu et laissa place aux combattant qui entrèrent un à un sous les applaudissements du public. Il était là, les cheveux brillants, beau comme un nouveau-né. Il souriait de toutes ses dents parfaitement blanches, la joie illuminait son regard. Comment pouvait-il être heureux ? En avait-il seulement le droit ?
Le soleil perça les frontières de l'horizon. Il ne restait plus que quelques secondes, seulement quelques secondes, avant que tout s'éteigne. Toute la joie. Toute la lumière.
Une.
Deux.
Trois.
L'arène s'enflamma.
Cinq hommes y concouraient, aucune femme n'avait cette fois osé les défier. Dommage. Parmi eux, les deux fils du défunt Dakhal tenaient une bonne place. Ils étaient jumeaux, taillés tels des colosses et totalement dénués de cœur. Leurs cris résonnaient avec la rage qu'on ne connait qu'aux bêtes, ils n'auraient aucun mal à s'entretuer.
A peine la corne de brume eut-elle retentie que Mathar se jeta vers l'une des épées qui décorait le sol. Son frère, quant à lui, s'empara d'une masse qui se détachait du grillage. Grossière erreur. Le poids de l'objet fit de ses bras une force lourde, lente, imprécise. Il porta un premier coup qui rata sa cible, laissant à Mathar le temps de lui perforer le thorax. Il tomba à genoux, son corps sans vie s'étalant dans le sable. Désormais, ils n'étaient plus que quatre.
Dans l'arène, le temps n'avait plus aucun sens logique, les minutes devenaient des secondes que les heures n'englobaient pas. Plusieurs dimensions du réel se détachaient entre ces murs bétonnés. Pendant que Mathar jouait de fratricide, le sable abritait un autre combat.
Le troisième homme se nommait Emelus, nul ne savait d'où il venait. Il avait la légèreté et la grâce d'une demoiselle, sa lame dansait dans le vent, bien plus tranchante que ne pouvait l'être un ruban. Il se vit confronté au terrible lasso de Kaz. Ce vieil homme, que les commérages désignaient comme un grand père affectueux, semblait avoir troqué le bridge pour une partie de frisson. Ses jambes chancelaient, mais il avait les muscles saillant d'un jeune homme. Sa fille se tenait juste en face de Rubie, un bébé dans les bras. Les larmes coulaient à torrent sur son visage, des larmes que la jeune fille se forçait à garder prisonnières de ses cils. Elle devait être forte, toujours, et ne jamais flancher. Il fallait qu'elle se batte, pour lui. Aujourd'hui, seule la fille de Kaz devait pleurer.
Le vieillard saisit Emelus au poignet, l'immobilisant avant de plaquer sa figure contre le sable. Partout, on entendit les souffles se couper. Kaz décrocha un poignard de sa ceinture mais l'épée du voltigeur, lancée telle une bouteille à la mer, vint frapper son corps avant qu'il n'ait eu le temps de l'abaisser. La foule devint hystérique, les hurlements fusaient de toutes part, comme si nul ne comprenait les enjeux de ce qui était en train d'arriver.
Deux héros dansaient désormais dans l'arène, l'un plus intelligent que l'autre. Quand Mathar se retourna pour admirer les répercussions de son triomphe, Emelus lui trancha la tête d'un seul coup. Elle roula sur plusieurs mètres. Les cris se turent. Rubie resserra son étreinte autour de la main de Théoxane. Maintenant, il n'y en avait plus qu'un.
Assise au fond de son siège, la pauvre adolescente n'avait rien pour se réjouir. Sa vision se troubla, la tête lui tournait et elle ne sentait plus son cœur battre. Le dernier homme qui se tenait là, debout dans cette arène, n'était autre que son frère. Andréas était venu reprendre l'héritage que leur mère avait laissé, trop orgueilleux pour comprendre qu'il n'était pas de taille. Emelus se dirigea vers lui. Les mains de Rubie se crispèrent tout à coup, son dos se raidit et elle crut un instant que la peur allait jaillir de son estomac.
- Rubie, s'inquiéta Théoxane, ça va aller ?
Il était adorable, mais sa naïveté donnait parfois envie de lui arracher la tête. Qu'attendait-il qu'elle lui réponde ? Comprenait-il seulement ce qui allait arriver, comprenait-il qu'elle était sur le point de perdre la seule famille qui lui restait ? Rien n'allait aller, rien ne pourrait plus jamais aller.
Emelus avança.
Un pas.
Deux.
Personne n'osait parler.
Le vide.
Le silence.
Toujours le silence.
Et la mort vint en dernier.
Les bras du voltigeur se remirent à virevolter tandis que le sable retombait. Il attaqua.
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Rubie Falcon - Le cœur du faucon
Fantasía« Avant de passer le seuil de la porte, Rubie ferma les yeux. Elle était ici pour apprendre à contrôler ses pouvoirs, pour devenir plus forte, pour sa famille. Une fois qu'elle y serait parvenue, elle les retrouverait. Ceci n'était qu'une pause, un...