James

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                        Cet homme à mon chevet. Il me semble le connaître. Sa voix graveleuse me plonge dans les méandres de ma mémoire. 1956. Une sensation d'humidité puis de fraîcheur, un visage, un lieu, et cette voix, toujours cette voix. Enfin, les souvenirs jaillissent, ils s'insèrent en moi sans aucune résistance de ma part. Je suis en 1956, dans le Montana, soubresaut d'une vie sur le point de s'éteindre.  

J'avais 12 ans, et n'avais connu que la solitude et l'ennui. Même avant l'incident, mon père, riche propriétaire d'une mine de diamant en Indes, n'avait pas eu envers moi, l'once d'un sentiment paternel quelconque. Ma mère avait, dans un excès d'absinthe, tué mon père, ; puis face à l'horreur de son acte, s'était donnée la mort par pendaison. Moi, je n'avais ressenti qu'une légère excitation à la vue de la fortune qui me revenait. Première désillusion. C'était sans compter sur M. Marshall, l'avocat véreux de feu mon père, qui projetait de s'en emparer. Pour parvenir à ses fins, il me fit placer au prestigieux pensionnat de Belt Town à l'âge de 11 ans.

Dès mon arrivée, je me liai d'amitié avec Walter, fis d'un riche entrepreneur Hongrois. Nous nous passionnions pour la lecture, seul échappatoire à ce monde terne et lisse. Comme il convenait à son prestige, the Belt Town'residential School, possédait une bibliothèque aux ressources inépuisables. On pouvait y lire des ouvrages en tout genre, allant de la nouvelle à la romance. Un soir, par hasard, je tombai sur un vieux recueil écrit en français. N'ayant pas reçu l'éducation nécessaire à l'apprentissage de la langue de Molière, je demandai à Walter de m'en faire la lecture. C'était un poème. Dès les premiers vers, je glissai vers des sensations nouvelles. Je sentais sous mes pieds le picotement des blés, la fraîcheur de l'herbe menue. Je ne parlais pas et ne pensais rien. Je goûtais à la liberté. Pendant les jours qui suivirent, nous cherchions constamment à renouveler cette expérience. Ainsi nous passions nos journées à la bibliothèque dévorant les poèmes de cet Arthur Rimbaud. Le soir, nous nous retrouvions dans la petite cour, le dos sur l'herbe humide et les yeux vers les étoiles.

C'est cette nuit là que nous avions décidé de partir. Il fallait nous comprendre, nous étions jeunes, prisonniers d'un monde soumis à des normes strictes : bien se tenir à table, rire discrètement, demander l'autorisation avant de prendre la parole, ne pas se salir, ne pas jurer, ne pas faire ceci, ne pas faire cela ... Que d'interdits qui contrastaient avec l'essence même de l'adolescence ! La liberté !

Ainsi par une belle nuit de juin, nous escaladâmes l'enceinte du pensionnat. Nous devions quitter Belt Town mais une fois dehors, nous nous sentîmes perdus, sans repère, dans un territoire inconnu, car les sorties étaient rares et contrôlées par les sbires de Miss Minchin, la directrice. Nous décidâmes alors, de suivre la voie de chemin de fer, qui nous conduirait tôt ou tard, dans une autre ville. Nous marchâmes pendant quelques heures puis nous nous arrêtâmes pour dormir. 

Cette nuit, cette fameuse nuit, notre campement fut sommaire : une tente en toile et de vieux draps volés dans la réserve. Allongé sur le tissu, nous contemplions la noirceur éclatante du ciel étoilé. Seul, le vent, messager de la pluie, venait troubler ce lourd silence. Les frêles feuilles des frênes frétillaient, enflammées par le fin souffle de Zéphyr. Malgré ses profondeurs obscures, le dôme d'Ouranos, semblait m'inviter à un céleste séjour. Alors, la pluie arriva, traînant un épais cortège de nuages, qui effaceraient les prémices de l'aube. Pluie miraculeuse effaçant nos souvenirs malheureux. Pluie de Liberté. Nous étions épuisés. Morphée nous enveloppa dans ces bras rassurant. Au réveil, la pluie avait cessé, laissant place aux doux rayons du soleil, et la lune s'était éclipsée.

Nous continuâmes notre route. Le soleil brûlant, rendait chacun de nos pas, plus harassant que le précédent. Lorsque la voie de chemin de fer passa non loin d'un ruisseau, nous nous dévêtîmes à la hâte et plongeâmes dans l'eau. Rafraîchis, nous nous assîmes sur des rochers, à l'ombre d'arbres verdoyants. Le lieu était sublime. Le mince cour d'eau serpentait rapidement à travers l'immense plaine qui s'étendait devant nous. Les nuages aux contours gracieux s'y projetaient. Je goûtais au parfum délicat des fleurs autour de moi. Mon regard s'envolait émerveillé, vers l'horizon, où se dressaient, les cimes fières des montagnes écarlates. La forêt avec ses arbres majestueux, qui s'élançaient vers les cieux, semblait vibrer au chant des oiseaux. Des fougères sauvages ondulaient sous les rameaux des sapins. Tout me séduisait sous ces voûtes tranquilles. Quelques heures à peine s'étaient écoulées, paisibles, mais qui nous parurent des jours.

Le souvenirs s'efface et les médecins paniquent. Je meurs.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 27, 2021 ⏰

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