En d’autres temps, je n’aurais probablement jamais lu ce genre de livre par moi-même. Mais il faut que je sache à quoi j’ai affaire. Depuis deux heures, je n’ai pas décollé mon nez des quelques centaines de pages que comprend la pièce de théâtre. Mis à part le fait que ce soit un réel chef d’œuvre, c’est en plus très instructif. On le pressent depuis le début : la fin ne serait pas heureuse — on n’appelle pas ce genre de pièce « une tragédie » pour rien. Tout concordait afin de nous prévenir que cela allait mal finir, alors qu’une autre partie de notre cerveau espérait que les protagonistes trouveraient une autre alternative. En vain.
Finalement, c’est mon histoire et ce qui allait arriver dans le futur si je ne me fais pas violence rapidement.
En marchant dans les rues de Paris, je n’avais toujours pas relevé la tête du livre. Esther, la belle blonde qui est mon amie depuis maintenant près de huit ans, heureusement, évite de me faire tuer en m’arrêtant avant chaque passage clouté et en me tenant le bras tout au long du trajet qui nous amène au bar de son fiancé, le bel Alexeï. Cela fait deux ans qu’ils sont ensemble et, en parallèle, cela fait deux ans que j’avais laissé ma vie privée devenir le support d’une probable tragédie.
Quand Esther et moi arrivons au bar « Sous l’Olivier », Alexeï vient immédiatement à sa rencontre. Il l’embrasse, peut-être sur la joue, peut-être sur la bouche, je suis trop préoccupée pour le voir.
« Bonsoir, Sarah, me dit-il en souriant.
— Ne me parle pas. Je dois finir le bouquin rapidement. »
Je m’assieds sur une des tables devant les yeux hagards du slave qui se tourne ensuite vers Esther.
« Quelle mouche l’a piquée ? demande-t-il à Esther, sans prendre soin de le chuchoter pour ne pas me déconcentrer.
— Ohlala, si tu savais. Il faut que tu sortes la vodka des grands jours. Sarah a besoin d’un bon remontant. »
J’entends Alexeï ricaner.
« Ce n’est pas drôle ! dis-je en sortant enfin de mon texte. Amène-moi cette Belvedere !
— Tout de suite, Votre Seigneurie ! »
Mes muscles se crispent.
« Ne l’appelle pas comme ça ! déclare Esther. Pas aujourd’hui… »
Il se moque souvent de moi à cause de mon caractère autoritaire. Je ne peux pas lui en vouloir, je m’en rendais bien compte. Mais ce jour-là, c’était de trop. Furieuse, je me replonge dans le livre et ne lui rends pas le plaisir de ma réponse.
« D’accord… dit-il. Je vais apporter la vodka. »
Il passe derrière son bar, prend une bouteille à moitié vide et la pose au centre de la table où je m’étais installée. Il y place ensuite trois petits verres à shot et s’assied à côté d’Esther.
« Allez-y, je vous écoute. »
Ce n’est pas à moi de le lui raconter. Je suis occupée, mais sa fiancée s’en charge.
« Il y a environ deux ans, la mère de Sarah a voulu la faire entrer dans une association qui s’occupe des violences antisémites à Paris.
— Ça, je m’en souviens.
— Il’avère que dans cette association, il y a trois autres avocats qui y travaillent bénévolement : David Cohen, Salomé Levy et Mickaël Adler. »
Alexeï se remet à rire.
« Tu te moques de moi ? Ils ont tous des noms de stéréotypes juifs.
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Deux Ans de Tragédies Grecques
RomanceRésumé : Suite de "Six ans de Contes de Fées", portée sur l'histoire de Sarah, l'amie d'Esther, et de ses déboires sentimentaux, toujours autour d'une vodka. Alcool et langage explicite. Déconseillé aux moins de 10 ans. Hurt/Confort/Humour/