Fati

106 2 0
                                    

Devant cette énorme baie vitrée, son esprit ne cessait de divaguer vers son passé, vers ses regrets, ses remords et surtout vers son futur. Elle s'interrogeait encore et encore sur le sens de sa vie. C'est vrai, elle Fatima Zahra Tall, elle avait tout en tout cas, son tout. Pour elle la vie d'une femme se résumait à se faire soi même, être indépendante, pouvoir subvenir à ses propres besoins. Et qu'elle avait réussi sur ce plan. De la jeune fille qui avait déserté la maison familiale, une nuit de juillet, il n'en restait pratiquement rien. Elle avait su passer outres ses souffrance et son terrible vécu pour y arriver. Cette nuit où elle quitta chez elle, elle s'était tout simplement dit "jamais je ne souffrirais pour les autres et à fortiori dans un ménage". A force cela devint une litanie, une sorte de thérapie qui lui permettait d'avancer. Elle sourit en pensant à cette fillette sur la série qu'elle regardait en ce moment et qui raconte l'histoire d'une jeune fille en quête de vengeance et qui ne pouvait fermer l'oeil la nuit sans avoir répété inlassablement le nom de toutes les personnes qui lui ont fait du mal. C'était en quelque sorte une thérapie, sa thérapie à elle. Fatima était certes en colère contre sa mère mais pas parce que c'était une mauvaise mère, mais plus parce qu'elle refusait de dire non. Elle se souvint de leur discussions dans les alentours du village où les quelques maisons étaient suivies d'un long sentier qui donnait sur une large clairière. Ce endroit fut le témoin des discussions les plus intimes entre les villageois. Seuls les rares arbres secoués par le vent dérangeaient la quiétude des confidents. Là on pouvait confier ses secrets les plus enfouis en étant sur qu'une oreille indiscrète a été écartée. Là Mère Alima, la mère de Fati se laissaient aller parfois à de lourds confidences.
-Fati, je sais que ayant fréquentée l'école française, t'as une perception de la vie que je n'ai pas et que je n'aurais jamais d'ailleurs. Dés fois j'ai envie de dire stop, de mettre fin à tout cela. Ton père n'a aucun respect pour moi, j'en suis consciente mais que peut bien faire une femme comme moi. Une femme à qui son père a fait jurer de ne jamais désobéir à son mari sur son lit de mort. On m'a inculqué que la soumission était le fondement même du mariage. Fati je rêve de Paradis et pour cela je dois obéissance et respect à ton père peut importe la situation.
Fati écoutait sa mère certes avec une oreille attentive mais en se promettant de ne jamais faire pareille.
******
******
Cette nuit où elle quitta chez elle fut l'une des nuits les plus terribles de sa vie. Elle allait quitter le seul environnement qu'elle avait connu durant son existence. Et dieu sait que c'est difficile le changement. A un moment la force de l'habitude devient prégnante. On s'imprègne de ce qui nous entoure, des gens avec qui on vit. Mais Fati le savait très bien, pour vivre elle se devait de changer. Sa mère avait pris le soin de glisser le numéro d'un "proche" pour qu'elle puisse l'appeler une fois à la capitale. Elle appréhendait sur ce qu'elle allait trouver une fois sur place. Elle ne connaissait personne là bas sauf bien sûr l'auteur du plus grand malheur de sa vie. Elle appréhendait parce que quelques unes de ces amies lui avait narré leurs mésaventures. Elles se faisait posé un lapin par des personnes sensées venir les récupérer. Des personnes qui avait fait les grandes promesses d'accueil surtout pour celles qui partaient vers l'extérieur du pays. Elles se retrouvait dans une situation sans pareille enfermée dans un guêpier qu'elle n'ont pas demandé. Elle se retrouve ainsi livré à elle-même dans des conditions où si le bon Dieu n'intervient pas elles peuvent verser dans la débauche.
Dans ce garage ou des véhicules arrivé, d'autres faisaient le plein pour pouvoir repartir vers une nouvelle destination. L'alignement des voitures rappela à Faty les longs fils qu'elle formaient avec ses camarades d'école avant d'entrer dans les classes.Cette alignement n'était pas ordinaire. En effet elle était faite en fonction des arrivants. La voiture qui est arrivé en premier était celle qui allait repartir en premier avec ses client avant que le suivant ne puisse suivre. Cette situation créait le plus souvent une compétition entre les chauffeurs et la plupart du temps ils se permettaient de rouler à des vitesses hallucinantes sans se soucier de la sécurité des passagers. D'où les nombreux accidents sur les routes.
Fati s'adressa à un jeune homme devant une voiture.
-Excusez-moi je voulais savoir quelles sont les voitures qui partent à Dakar.
-Vous êtes devant l'une d'entre elle. Le transport se fera à 3000 francs . et vous opérer 500 francs pour votre valise.
Fati lui présenta de suite sa valise lui dit qu'elle était d'accord pour le prix elle se faufila dans le véhicule et s'assis sur le premier siège à sa portée. Elle était trop occupé à réfléchir sur ce qui l'attendait pour se permettre de négocier ce prix.
Elle se déplaçait plutôt vers Dakar plus qu'elle ne voyageait car elle n'a pris aucun soin de s'attarder sur les paysages qu'elle traversait. Elle ne faisait que penser encore penser et toujours penser.
                             ***********
La voiture arriva vers Dakar six heures plus tard. Fati avait les jambes engourdies par ce long voyage. Et sur le coup elle regretta de ne pas avoir choisi une meilleure place. Puisque sur le siège qu'elle avait choisi, elle fut rejointe par deux dames qui faisait le triple de son poids. Et durant tout le trajet, les deux femmes ne se gênaient  pas pour resserrer l'étau sur elle, l'étau de leur poids bien sûr . À cela s'ajouta le fait qu'elle était assise juste à l'entrée et quand la voiture fut chargée, le chauffeur trouva le moyen de placer deux sièges supplémentaires juste près d'elle pour installer deux voyageurs arrivés à la dernière minute. Ça serait de l'argent en plus pour le conducteur mais et là quiétude du client?
Le garage où la voiture déposa la jeune fille fut très différente de celui qu'elle avait quitté la nuit dernière. Celui là avait beaucoup plus de monde et de véhicules de tout genre également. Fait comprit que c'était le garage de la capitale et qu'il était possible d'aller à partir d'ici dans tous les endroits du pays et même dans la sous région. Dés qu'elle posa le pied dehors, elle fut assailli par des jeunes qui lui proposa de porter sa valise moyennant un paiement bien sûr et Fati déclina toutes les propositions. Pour le moment elle avait juste besoin d'un téléphone pour appeler sur le numéro que sa mère lui avait donné.
S'il y avait une qualité chez la jeune fille, c'était de savoir cerner les gens, on en parlait même comme un don. Elle était capable de voir au delà des apparences au premier coup d'œil. Elle savait deviner quand un geste était désintéressé, un comportement suspect, ou une fausse personne. C'est pourquoi elle n'eut aucun problème à trouver quelqu'un pour lui demander à passer un appel. C'est le cœur battant la chamade et les doigts tremblant qu'elle composa le numéro sur le bout de papier. Elle se demandait ce qu'elle ferait si la personne ne répondait pas. Elle tomba sur la messagerie. Deux tentatives plus tard elle rendit le téléphone à son propriétaire les yeux larmoyants.
-vous savez votre situation est arrivée à de nombreuses personnes. Bon courage.
La personne partit laissant Fati désorientée et l'esprit sans dessus dessous. Elle commença à sangloter quand en relevant la tête elle vit le cellulaire de tout à l'heure tendue vers elle.
-je pense qu'il vous rappelle, répondez vite.
Elle prit le téléphone décrocha sans attendre.
-Euh allô, en fait c'est Alima Sow qui m'a demandé de vous appeler une fois à Dakar débita-elle d'un trait.
- vous êtes sa fille répondît la voix d'un homme au bout du fil?
-Oui c'est le cas.
-Enfin! Restez là où vous êtes, je viens vous chercher.
Et il raccrocha. Fati se sentit soulagée et remercia chaleureusement son bienfaiteur.
                                      ******
Dans son vieux Taxi avec lequel il s'évertuait à vivre dignement sa vie et prendre soin de sa famille, Pape Talla rechigna à prendre l'énième client qui essayait de l'arrêter sur la route. L'appel qu'il reçut il y a quelques minutes le bouleversa plus qu'il ne voulait le montrer. Quand son téléphone sonna la première fois, il déclina l'appel puisqu'il était en train de conduire. D'ailleurs il ne répondait jamais au téléphone en conduisant. Sa morale le lui interdisait. La vie des gens qu'il transportait était bien trop précieuse à ses yeux.
Il attendait ce jour là puisqu'il avait suggéré à Mère Alima de lui envoyer sa fille mais il ne pensait pas que ça serait si brusque. Durant tout le trajet qui le mena au garage il ne cessa de réfléchir sur ce qui le liait à Alima Bâ, la belle peulh. Il se perdit dans ses pensées et en oublia même qu'il était arrivé à destination. Quand il aperçut une jeune fille assise sur l'u. des bancs en béton avec un sac de fortune et une valise, la mine un peu déconfite, il sut que c'était elle, la fille de Alima rien qu'avec ses traits. Il l'aida à faire monter ces bagages dans le taxi et prit la direction de sa maison. Le trajet se fît dans le silence jusqu'à ce que Fati lui posa la question qu'il redoutait à la fois mais attendait également.
-Pourquoi ma mère m'a donné votre numéro. Quelle relation avez-vous pour que tu puisses accepter d'héberger sa fille dans une si grande ville.
-C'est une bonne amie répondît Papa Talla d'un ton ferme et définitif coupant cours à toutes véléllités de répliques chez la jeune fille.
                               *********
Papa Talla était un vaillant homme, marié et père de 3 enfants. Quand il eut l'âge de trouver une femme il se résolut à épouser Fama, sa cousine, à contre cœur. Cependant de cette union naquirent Falaye, Rama et Binette. Cette dernière était l'aînée de la famille. Dans son for intérieur, le vieux Talla redoutait la cohabitation entre sa grande fille et Fati. Il savait pas que cela ne serait pas une partie de plaisir. Mais il se doit d'accueillir cette jeune fille dont la mère et lui ont traversé de nombreuses épreuves.
Dans une maison au HLM grand yoff, une discussion avait lieu entre une mère et sa fille. Une mère qui savait d'ores et déjà que l'arrivée prochaine d'une personne allait à jamais changer le cours de leur vie selon ses dires. Puisqu'elle connaissait les tenants et les aboutissants de l'histoire. Elle savait tout ce qui s'était passé autrefois donc elle mettait sa fille en garde.
-Binette, je ne t'interdit pas de coups bas pour la faire sortir de cette maison, mais tu pourrais juste te garder de le faire devant ton père.
-Mère vous me connaissez bonne actrice donc je saurais jouer le jeu pour ne pas éveiller les soupçons et me tâcher de ne pas froisser Papa. Je sais qu'il estime grandement cette fille.
Elles continuèrent ainsi à mettre en place milles et un stratagèmes jusqu'au moment où la voiture de Papa Talla freine devant maison. Comme un ressort elle se levèrent, de beaux sourires sur le visage pour accueillir la nouvelle venue. Les éternels Salamaleks durèrent des minutes entre la mère qui voulait coûte que coûte comment se portait la mère de Fati même si ce n'était pas par gaité de cœur. Tout une tradition en Afrique. Ils représentent une des pratiques atypiques de cette région. Pressé ou pas, occupé où libre de corvées, on y prend toujours le temps pour se saluer comme il se doit. Pendant ce temps là, la fille essayait de prendre la température pour savoir à quel genre de personne elle avait à faire. Elle prit la main de Fati et l'amena dans sa chambre tout en faisant en sorte que son père l'entende elle lui sortit
-Viens tu vas t'installer dans ma chambre. Je t'accueille avec plaisir. Tu dois être morte de fatigue, tu vas aller prendre une douche et en attendant je vais ranger tes affaires.
Fati la suivit docilement, mais au fond d'elle sa raison prit le dessus et lui soufflait sans cesse
-Sois pas dupe jeune fille. T'as bien envie qu'elle soient sincères puisque ça t'arrangerais bien. On a tendance à vouloir parfois croire fermement en des choses qu'on sait erronées juste pour être tranquille alors qu'au fond de nous mêmes, on sait clairement que ce n'est pas le cas. Ne sois pas dupe, ça se voit bien qu'elles ne sont pas sincères.
Sur ces pensées la jeune fille resta sceptique quand elle s'engouffrait dans la douche.

AbdallahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant