Punaise, c’est pourtant pas le jour où il faut me chercher…
Que je m’explose le petit orteil sur l’un des pieds de la table de nuit est un non-événement : je dirais que ça m’arrive une fois sur trois au réveil. Je n’ai jamais été du matin, et je pense que ma fin de trentaine aurait bien besoin d’un petit contrôle ophtalmo, entre autres, que la coquetterie me fait repousser : ce n’est plus aussi simple de faire le point au réveil, mais je préfère encore me cogner à chaque angle de meubles de ma chambre que d’avoir à porter des lunettes.
Bref, personne n’est donc étonné que je me mette à hurler en claudiquant dans la chambre, moi la première, et la dernière d’ailleurs vu que je vis seule, alors… Ca ne secoue pas plus mon chat qui semble totalement hermétique à mes soucis matinaux, et qui aurait même plutôt tendance dans ce cas à sadiquement garder les yeux fermés, lové dans les plis de mon lit, allongeant négligemment l’une de ses pattes devant lui dans une démonstration professionnelle de détente intensive : espèce d’amour de salopard.
Que j’ai oublié d’acheter du café, alors même que je ne peux rien faire sans en avoir bu au moins trois tasses, et ce les bons jours, est aussi assez anecdotique, j’imagine, mais la conjonction orteil/café devrait me mettre la puce à l’oreille : ça va être une punaise de journée.
C’est donc l’orteil endolori et le ventre désespérément vide que je me retrouve dans la douche… Je ne vais pas vous faire le plaisir de vous raconter m’y être étalée les quatre fers en l’air en glissant sur le savon, je vous vois venir, ni même en ayant une panne d’eau alors que j’aurais eu du shampoing plein les yeux. Non, non, tout s’est très bien passé… jusqu’à ce que mon sèche-cheveux avale l’une de mes mèches par la grille arrière d’aération dans un mouvement suicidaire, hoquète, prenne un coup de chaud alors même que je me bats avec lui, cherchant à épargner ma belliqueuse chevelure en l’extrayant délicatement puis frénétiquement de l’appareil rendant l’âme. Oh, ceux d’entre vous qui seraient des hommes et celles qui n’ont besoin que de l’air et de temps pour avoir un résultat digne d’un brushing de compétition ne doivent pas bien comprendre : celles qui, comme moi, ont une nature capillaire plus proche du poil de cul que du fil de soie imaginent très bien mon calvaire. Il faut quand même savoir que si je ne mets jamais la tête sous l’eau dans piscine comme mer, si je ne prévoie jamais de voyage dans un pays dont le taux d’humidité dépasserait les 60%, si je refuse de poser un orteil, endolori ou pas, dans un spa susceptible de me conduire dans hammam ou autre lieu humide et piégeur, c’est bien parce que je ne fais nullement confiance à la capacité d’adaptation de ce dont la nature m’a misérablement doté sur la tête et qu’il faut donc bien appelé cheveux à défaut d’un néologisme à caractère probablement scatologique, moins flatteur mais plus adéquate : ils sont moches au naturel, ils sont potables si domptés, et vu le peu d’appâts dont je dispose, je ne peux pas me permettre de faire une croix sur ce possible presque-atout.
Me voilà donc prête à partir, en retard, en ballerines (because orteil), le teint brouillé et l’œil hagard (because café), les cheveux bizarrement plats à gauche et frisouillés à droite, dans un ensemble totalement désorganisé et bien peu élégant (because sèche-cheveux), consciente de l’ensemble de mes points faibles en ce jour important parmi tous : ma première présentation de chef de projet.
Je saute dans ma voiture, je répète tout au long du trajet cette intro dont je suis si fière, ponctuant le tout de coups de klaxons enragés à l’égard de tous ces connards au volant sortis justement ce matin à cette heure rien que pour ralentir encore plus mon trajet, bordelllll !!!!!
Je prends quand même le temps de m’arrêter au Starbucks le plus proche de mon itinéraire, car tant qu’à être en retard autant que ce soit de 5 minutes de plus mais avec une dose minimale de caféine. Evidemment, un groupe de sexagénaires en tenue de marche qui ont probablement été échaudées par les nuages sombres qui s’amoncèlent sur nos têtes s’est donné le mot pour se réunir dans le café, et il me faut un peu de patience furibonde, les écoutant égrener et écorcher les noms des spécialités maison sans bien savoir ce qu’elles commandent sans doute, avant de pouvoir obtenir mon sésame cartonné, taggué d’un « Luis » quasi quotidien qui me fait me dire chaque jour que soit la caissière me prend pour un travelo, ce qui en ce jour physiquement peu glorieux n’est pas forcément une surprise, soit elle a chaque matin une bouffée de nostalgie à l’énoncé de mon prénom, la ramenant au souvenir d’un homme qu’elle aurait aimé, le regard vide et le petit soupir accompagnant le traçage des lettres me faisant plutôt pencher pour cette dernière option (ce qui ‘arrange niveau estime de moi, je vous l’accorde).
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Bouboule
General FictionLouise est une femme tranquille : moins on la remarque, mieux elle se porte. Mais parfois, le passé se rappelle à votre mauvais souvenir...