CHAPITRE 30

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SÉFIA

    Je grimpe dans la voiture et claque la portière derrière moi. Assise à mes côtés, ma mère pose ses mains sur le volant, le regard perdu dans le vide.

    — Maman... ? chuchoté-je pour mettre fin au silence qui s'est installé.

    Elle ferme les yeux, et j'aperçois une larme rouler sur sa joue. Elle ouvre la bouche en se tournant vers moi.

    — Depuis quand ?

    Je pince les lèvres et me tasse sur mon siège sans oser croiser son regard, de peur d'y lire de la déception.

    — Séfia, depuis quand durent tes crises ? insiste-t-elle.

    J'essuie l'humidité de mes joues et inspire un bon coup. Je vais peut-être la blesser, mais je ne peux plus reculer. Je n'en ai plus envie.

    — Elles ont commencé environ un mois après...

    Les mots meurent au fond de ma gorge, mais ma mère n'a pas besoin d'en entendre plus pour comprendre.

    La première fois, c'est arrivé en pleine nuit. C'était horrible. J'ai eu l'impression qu'on arrachait mes organes un à un. Qu'on me jetait au sol, avant de me cracher dessus comme sur un vulgaire déchet. Qu'on me rouait de coups, jusqu'à me faire vomir. D'ailleurs, j'ai tout rendu ce soir-là. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que de la bile qui sorte du fond de ma trachée.

    Je me suis demandé si c'était vrai. Si ça s'était vraiment passé. Mais au fond de moi, je connaissais la réponse, et elle me terrifiait.

    Je suis incapable de contrôler mes réminiscences. Je sais ce qu'il s'est passé cette nuit-là. C'est ancré dans mon esprit et je ne peux rien contre ça.

    — Ma chérie... sanglote ma mère en ouvrant ses bras.

    Je me réfugie contre elle. Elle caresse tendrement mes cheveux, le corps tremblant. Cette étreinte me procure à la fois sécurité et confiance. Quoi qu'il arrive, ma maman sera toujours là. Je ne sais pas ce que je serais devenue, si elle ne m'avait pas soutenu ces derniers mois.

    Au bout d'une longue minute, je m'écarte et baisse la tête sur mon sac de cours. Il me reste deux heures. Je vais devoir survivre aux regards singuliers de tous mes camarades qui m'ont vu plus bas que terre. Chani et Coco vont me demander des explications. Elles l'ont déjà fait. Mon portable était tellement inondé de message que j'ai dû l'éteindre. Et Kenzo... C'est lui qui m'a fait sortir du lycée en douce. Il m'a tenu la main jusqu'à ce que ma mère arrive et est reparti l'instant d'après, sans un mot. Mais ses yeux ont parlé pour lui. Il est avec moi à une seule condition : la vérité. 

    Je pose une main sur la poignée de la portière, et soupire en attrapant ma veste.

    — Reste.

    Je tourne la tête vers ma mère. Elle met le contact, enclenche la première vitesse et abaisse le frein à main. J'écarquille les yeux lorsque je me rends compte que nous quittons le lycée.

    — Maman ?

    — Une journée entre filles ? Je crois que nous en avons bien besoin, toutes les deux... me dit-elle en décrochant son regard de la route pour me sourire.

    Elle est géniale. Elle sait exactement ce dont j'ai besoin.

    — Et pour ton travail ?

    — C'est mon jour de repos, aujourd'hui. Shopping ?

    J'empoigne mon sac à dos et le pose sur la banquette arrière, toute trace de pression quittant lentement mon corps.

Quelqu'un Pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant