Servante

Chapitre 22

« De l'amour, répète l'inspecteur Mark, c'était donc bien ça. »

L'autre lâche un rire moqueur et se cale contre le mur en béton, les bras croisés et l'air désinvolte.

« Ne me dis pas que tu crois à ces conneries, il lance, parce que c'est ce que c'est, des conneries.

–C'est difficile, n'est-ce pas ? Je demande l'air innocent. C'est difficile de regarder la vérité en face et de voir ce mensonge, pourtant si bien ficelé, se désagréger petit à petit.

–Vous dites que la Nation nous a toujours menti, reprend Mark, mais quel en serait l'intérêt ? Si l'amour est comme cette Francesca l'a décrit, pourquoi est-ce que le Saint a décrété que c'était mal ?

–Parce que le Saint était frustré, mais je ne peux pas encore vous dire pourquoi, c'est beaucoup plus intéressant si vous le découvrez au fil de l'histoire.

–Elle se fiche de nous, siffle l'inspecteur Harry, et ce depuis le départ. Elle joue avec nous, comme un chat avec une souris, et nous balance connerie sur connerie. »

Je souris faiblement. Il est, sans aucun doute, le plus difficile des deux.

« Pourquoi est-ce que je me jouerai de vous ? Je réponds, toujours avec cet air de sainte nitouche. Je suis celle qui se trouve en position de faiblesse, je ne suis pas à mon avantage, pas dans la peau de celle qui peut se permettre de jouer. Je ne fais que ce que vous me demandez, je lis et je réponds à vos questions, rien de plus.

–Et pourquoi devrions vous croire ? Demande Mark. »

Et voilà qu'il se remet à douter de moi. Comment lui faire comprendre que je n'essaie pas de le berner ? Comment remettre la balle dans mon camp ? Je dois jouer l'une de mes cartes, celle des sentiments.

« Monsieur l'inspecteur, êtes-vous de basse ou de haute extraction ? Je l'interroge en plongeant mon regard dans le sien.

Après toutes ces années à faire semblant, je sais parfaitement bien comment faire croire que je m'intéresse sincèrement à quelqu'un. Tout est dans le regard. Fixer longuement droit dans les yeux, avoir cette petite lueur innocente dans les yeux qui lui fait comprendre que je ne lui veux aucun mal, que mes intentions sont pures. Se tourner pleinement vers la personne, poser les mains sur la table et s'appuyer sur ses avant-bras. Hocher la tête de temps en temps, sourire légèrement, hausser les sourcils, paraître avenante. Ça m'est devenu si facile.

« Ne lui répond pas, lâche Harry comme s'il avait remarqué mon stratagème, mais il ne me regardait même pas.

–Haute, avait répondu son collègue sans se soucier de lui. »

Un sourire. C'est une victoire.

« Alors vous avez eu la chance de grandir avec vos parents, je continue. J'aurai une autre question à vous poser, si vous me le permettez. Comme vous me l'avez si bien dit, et au vu de ce que je commence à entendre de ce qu'il se passe à l'extérieur, les gens deviennent fous, demandent vengeance, en veulent à la Nation à cause de ce livre. Ils savent que je suis ici, que vous nous avez embarqué tous les deux. Peut-être que certaines de ces personnes savent qui travaille ici et sauront retrouver vos deux noms. Imaginons qu'ils arrivent à retrouver le vôtre, inspecteur Mark, qu'ils remontent jusqu'à vos parents et retrouvent leur adresse. Certaines personnes seraient assez folles pour prendre leur maison, ou leur appartement, d'assaut, de défoncer la porte et de les prendre en otage. Ce deviendrait un parfait moyen de pression pour vous pousser à me relâcher, nous relâcher. Maintenant, imaginons que vous ne cédez pas tout de suite et que quelqu'un menace de tuer l'un de vos parents, votre mère par exemple. Elle est là, devant le bâtiment, apeurée, maintenue par un homme qui lui passe un couteau sous la gorge. Il le presse un peu trop et un filet de sang s'écoule. Votre mère pleure, appelle à l'aide. Elle est tétanisée. Derrière, votre père hurle à qui veut bien l'entendre que si le moindre mal est fait à sa Servante, celle qui lui a donné des enfants, il se vengerait. On l'assomme pour le faire taire, un grand coup sur la tête. Il tombe par terre, du sang se déverse autour de lui. L'aurait-on finalement tué ? Et vous, vous êtes là, à une fenêtre, en train de regarder ce spectacle se profiler devant vos yeux. Que faîtes-vous monsieur l'inspecteur ? »