Pivoines et Chrysanthèmes

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Assis sur un transat de la terrasse, j'écoutais le vent sec péruvien qui parcourait la ville. Une douce odeur de Papa a la Huancaina s'échappait de la cuisine de ma mère. Nous allions bien manger ce soir.

Je tenais entre mes mains une lettre légèrement lourde. Depuis tout à l'heure je n'osais pas l'ouvrir et me contentais de fixer le nom du destinataire.

Était-ce un mot d'excuse ? Une demande de réconciliation ? Un message de haine ? La troisième proposition était sûrement la plus probable. J'avais réussi à la blesser en si peu de temps que me faire pardonner allait sûrement être impossible. Les souvenirs doux-amer de mes vacances d'été ne cessaient de trotter dans ma tête depuis plus d'un mois. Jamais je ne pourrais oublier ce qui s'est passé. Ce que je lui avais fait...

C'était il y a deux mois. Mon cousin Carlos qui avait quitté le Pérou pour la France m'avait proposé de lui rendre visite pendant les vacances d'été. Il souhaitait me faire découvrir la Provence, une région qu'il m'avait tellement vendu que j'en venais presque à croire que c'était le meilleur endroit sur terre. À peine fus-je arrivé dans sa grande maison qu'il s'empressa de m'emmener en excursion au Lac de Sainte-Croix. Bien évidemment, je trouvais cet endroit magnifique. Au Pérou nous avions de bien plus beaux lacs, mais ce dernier dégageait une aura différente. C'était plus frais et plus lumineux.

Fatigué par le trajet et le décalage horaire, j'avais demandé à ce que nous rentrions nous reposer. Mais Carlos n'en n'avait fait qu'à sa tête et m'avait emmené explorer des endroits qu'il n'avait jamais visité seul. Nous avions marché au hasard à travers de nombreux chemins qui montaient et descendaient, jusqu'à arriver dans une forêt. Ma tête tournait. Je mourais de fatigue et de soif. Nous n'avions pas d'eau. Alors que j'étais au bord de l'évanouissement, mon cousin avait tenté tant bien que mal de me soutenir. C'est alors que, persuadé d'avoir entendu de l'eau couler, il m'avait entraîné dans un petit chemin. Ce chemin qui nous mena au lac. Au lac où elle se trouvait. Et je la vis pour la première fois.

Elle était assise sur un rocher situé au bord du petit lac. Le bout de ses pieds était trempé dans l'eau pendant qu'elle regardait les feuilles d'un mûrier noir qui pendaient au dessus de son visage angélique. Je ne sais pas si c'était dû à l'endroit où elle se trouvait, mais elle dégageait une grande paix et une grande sérénité. En voyant sa longue robe blanche et le foulard qu'elle portait sur la tête, je crus voir une nouvelle advocación mariana¹. Une sainte lumière blanche émanait de son visage. Comment allions nous l'appeler? La Virgen del Lago? La Virgen de Santa Cruz² ? Je serrais instinctivement mon pendentif de la Vierge Marie.

- Santa Maria Madre de Dios...

Tels furent mes derniers mots avant que je m'évanouisse dans l'herbe.

Je m'étais réveillé dans un jardin une heure plus tard sur une chaise longue. La tête encore un peu étourdie, je tentai de me lever petit à petit pour ne pas tomber encore une fois. Lorsque ma vision se rétablit complètement, les taches vertes et multicolores autour de moi se transformèrent en un jardin fleuri. Mille et une senteurs s'étaient rassemblées en ce lieu saint.

- Dourmai coume uno missaro³, me dit une voix de femme.

J'espérais revoir la sainte Vierge que j'avais aperçu au petit lac, mais à ma grande déception ce fut une grand-mère fripée mais pleine de vie qui m'accueillit.

- Coume vai⁴ ?

Me parlait-elle bien français ou bien mon cerveau encore dans les vappes déformait ses mots? En réalisant que je ne la comprenais pas, elle se tapa sur le front comme si elle venait de réaliser son erreur. Sans dire un mot de plus, elle me passa un verre d'eau et m'aida à boire.

Pivoines et Chrysanthèmes [OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant