Chapitre 1

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Il avait des cheveux noirs comme l'ébène, des yeux glaciaux. Sur sa main, une bague en or pur, représentant un lion. Héritage familial, qui assurait son statut. Ses vêtements couteux lui saillaient comme un gant, le rendait encore plus bel homme qu'il ne l'était déjà. Sa cape rouge sur les épaules, il était intimidant. C'était un prince.

Quelqu'un lui parlait, il n'écoutait pas. Son regard était fixé sur la fenêtre, scrutant le paysage au-dehors. Mais le voyait-il vraiment, ou rêvait-il simplement ? Nul ne saurait le dire. Autour de lui, des femmes s'activaient pour le faire paraitre présentable, lissant sa chemise, lassant ses bottes. Elles tremblaient de faire une faute, et de se retrouver prisonnières des cachots. Car leur prince était cruel, capricieux, orgueilleux.

Le bavardage sourd en fond s'était tu. Le silence prit place dans l'habitacle. L'homme qui était venu le déranger attendait. Que le prince lui réponde, qu'il prenne une décision, qu'il le congédie. La tête baissée en signe de soumission, il sentait les poils de sa nuque se hérisser. Un geste de travers, et il était fini. Enfin, le prince tourna la tête pour observer ce conseiller. Envoyé par son père, sans doute. Il posa sa tête sur sa main, négligemment, et un fin sourire carnassier étira ses lèvres.

- Je ne me marierais pas avec cette fille. Pars, tant que je suis clément.

Sa voix était grave, pas trop, et sèche : il attendait qu'on lui obéisse dans la seconde. Il leva la main, interrompant la jeune fille qui voulait boutonner sa manche. Les femmes de chambre sortirent précipitamment, et refermèrent les lourdes portes en bois. Le prince put enfin souffler. Il n'aimait pas l'agitation.

L'après-midi commençait, le soleil brillait dans le ciel. Le prince décida de sortir faire une promenade. Son carrosse était déjà prêt, les chevaux noirs harnachés. Il monta à l'intérieur, s'aidant du trépied, et le valet referma la portière. Les rideaux étaient écartés, lui permettant d'observer et d'être vu. Les roues cahotaient sur les dalles de pierre.

En ville, les passants s'écartèrent brutalement sur le passage du carrosse. Un sentiment de peur, mêlé d'excitation. Voir le prince était rare, et c'était toujours un évènement. Et le principal intéressé, malgré sa mine sombre, était ravi de l'effet qu'il faisait aux gens du bas-peuple. Une secousse, plus forte que les précédentes. Puis, le véhicule bascula en avant, avant de s'arrêter. D'après les murmures effrayés des habitants, il s'était passé quelque chose.

Le prince grimaça, et sortit du carrosse. Immédiatement, un cercle se dégagea autour de lui. Les habitants, en haillons pour certains, s'agenouillèrent aussitôt, le front touchant la terre sale. Le jeune homme fit le tour de son véhicule, et tomba sur le cocher, qui réprimandait vertement un enfant. Il rouspétait et lui postillonnait au visage, et le petit tremblait de tous ses membres. Bientôt, il allait pleurer, perçant les tympans de son Altesse.

- Que se passe-t-il ?

- Mon Prince, je vous prie d'excuser toute cette agitation. Ce morveux est passé sous mes roues avant que je ne puisse le voir, et il a effrayé les chevaux.

Le cocher parlait vite, déchargeant la responsabilité des évènements sur l'enfant. Le prince ne souriait pas, signe qu'il était de mauvaise humeur. Qui était le fou qui osait lui couper la route ? D'un geste calme, il arracha le fouet des mains du cocher, et s'approcha du gosse. Il fallait bien qu'il le punisse, qu'il montre l'exemple. Qu'importait qu'il ait tout juste dix ans.

Le fouet s'éleva en l'air, et quelques cris retentirent, mais personne ne l'arrêta. Il allait s'abattre une fois, lorsqu'à la place, la corde rêche s'enroula autour du poignet d'un jeune garçon plus âgé. L'enfant profita de cet instant pour fuir parmi le peuple, disparaissant à la vue de tous. Un silence empli de tensions régnait. Cet inconnu ne baissait pas les yeux, et portait même un regard jugeur sur le prince.

Il avait de beaux vêtements, assez pour être au moins un noble. Il ne portait pas d'armes, mais une cape reposait sur ses épaules. Un comte, peut-être. Le prince l'évaluait du regard, comme il le faisait à chaque fois devant un ennemi. Des chuchotements commencèrent à s'élever, et cela ne plus pas à l'homme de sang royal. Il tira sur le fouet, faisant avancer le garçon de quelques pas. De près, il distinguait mieux ses yeux noisette.

- Pourquoi m'as-tu arrêté ?

- Ce n'était qu'un enfant.

Sa voix était douce, mais ferme. Rien de méchant. L'inconnu n'avait pas peur, il soutenait le regard du prince sans souci. Ce dernier hésitait dans la marche à suivre. Cet homme lui plaisait, c'était la première fois qu'on osait lui répondre, et qu'on ne tremblait pas devant lui. Une certaine excitation, qui s'était endormie, renaquit. Il voulait l'emmener avec lui, découvrir tous ses secrets, jouer avec lui. Avait-il le droit ? Bien sûr, il avait tous les droits.

Mais l'inconnu le prit de vitesse. Echappant à son emprise, le fouet dans sa main –fine et délicate –il recula de plusieurs pas. Son sourire narquois irrita le prince. Dans une révérence faite à la hâte, son dos se courbant vers l'avant, ses jambes croisées, le garçon aux yeux noisette le salua.

- Au plaisir de vous revoir, votre Altesse.

Il siffla deux fois, et un magnifique destrier apparut : l'exacte opposé des chevaux royaux qui tiraient le carrosse, celui-ci avait le pelage entièrement blanc, propre. Il avait une selle sur le dos, légère, pas comme leurs chevaux de courses. Accroché dessus, le fourreau d'une épée de grande valeur attira l'attention de tous. L'homme s'installa sur sa monture d'un bond souple, ses jambes et son bassin se calant parfaitement sur la selle. Il tira sur les rênes, l'animal se mit debout sur ses pattes arrières, avant de partir au grand galop, et de se perdre à travers le dédale des rues de la ville.

Le prince avait la tête ailleurs : il ne pensait qu'à sa mésaventure de l'après-midi. Comment ce garçon avait-il osé l'humilier de la sorte, devant son peuple ? Son humeur était massacrante, pire que d'habitude. Si au début, la bravoure de cet inconnu l'avait légèrement amusé, elle le mettait à présent dans tous ses états. Enfin, un serviteur lui apporta sur un plateau d'argent son repas. Non vraiment, il n'avait pas envie de se rendre dans la salle de banquet, où il ferait forcément face à son père. 

Un mariage de rois {Lawlu}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant