Ta Mémoire dans l'Océan

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Sur l'océan, un bateau n'est jamais totalement immobile, il y a toujours du mouvement, comme Thomas qui court vers le bastingage pour vomir son dîner dans l'eau sombre de la nuit.

Sur l'océan, un bateau n'est jamais totalement silencieux, il y a toujours un son quelque part, comme Thomas qui maudit son estomac, penché au-dessus du bastingage.

Quelque part, c'est plus facile pour moi.

Parce que je suis sincèrement désolé.

Mais je ne tiendrai pas jusqu'à Nassau.

Tu ne m'entends pas arriver.

Je t'attrape l'épaule et te fait te retourner d'un coup sec, tu n'as pas le temps de comprendre ce qui t'arrive.

Thomas se retourne après avoir rendu ses tripes et s'être essuyé la bouche avec sa manche. Une part de lui sait que c'est futile puisqu'il est malade depuis plusieurs jours déjà, mais c'est un réflexe que son mouchoir de poche n'a déjà que trop constaté.

Il ne se savait pas enclin au mal de mer avant d'embarquer et sincèrement, il aurait aimé ne jamais en faire l'expérience.

Il remonte le pont vers la trappe qui mène aux cales où dort tout le monde. Le capitaine a sa propre cabine bien qu'il dorme le plus souvent avec les hommes. Thomas descend les marches en bois qui craquent doucement sous ses pas, la moquette absorbant une partie du bruit, jusqu'à rejoindre le salon où l'attend son père.

Il a toujours été sérieux, plus depuis que la terre a pris Eléonore et la guerre William.

— Fils, tu ne peux pas rester ici. Je ne le tolérerai pas !

C'est avec ces mots qu'il se lève, la fureur déforme ses traits et agite ses membres. C'est sur ces mots qu'il scelle ton futur. Du moins, ton futur immédiat. Tu ne peux t'empêcher de te demander s'il te hait.

Thomas se détourne de son père et du sobre mais riche salon vert où sa mère jouait du violon quand il était enfant.

Les notes en suspension dans les airs le font courir vers les coussins posés sur le rebord de la fenêtre où il grimpe pour l'écouter jouer. Père et William ne veulent pas de lui car son frère commence à apprendre comment gérer le commerce familial et que lui est trop petit. Alors il passe son temps à écouter sa mère jouer et à lire les livres que son père lui ramène. William se moque bien des mots, lui. Il bouillonne en permanence de vouloir faire mille choses et tenir un ouvrage dans ses mains lui paraît aussi futile et vain et inutile et frivole et dérisoire et insignifiant et improductif et stérile et superflu et stupide et perdu et Thomas s'avance vers l'homme qui lui fait signe de le rejoindre sur le banc.

C'est ton premier repas depuis que tu es parti. Tu as tenu une journée et demie avant de craquer, il faut que tu manges même si tu es malade. Quand Thomas s'approche de l'homme qui lui fait un signe de tête, il est reconnaissant. Il se sent seul ici comme dans la vie, alors il tente de faire la conversation, le nez concentré sur son bol et le ragoût que le cuisinier a laissé tomber dedans à la louche.

— Thomas.

Il ajoute son nom de famille, mais ne l'entend même pas lui-même parce qu'un éclat de rire le recouvre.

Je te donne un nom : Jacques. C'est celui que j'utilise en ce moment.

Je te souris quand tu lèves le nez de ton écuelle et tu sens quelque chose fourmiller en toi. Tu chasses le trouble d'un hochement de tête dont je ne me formalise pas, ça passerait presque pour un salut, si je n'avais pas l'expérience de ce trouble.

Thomas applaudi quand son frère reçoit la lettre qui le mobilise, William lit à voix haute que l'Angleterre a besoin de plus de soldats pour sa guerre et que William lit à voix haute que l'Angleterre a besoin de plus de soldats pour sa guerre et qu'il est en âge de participer. Thomas applaudit parce que son frère va faire comme ses jouets de plomb, qu'il va partir et vivre une aventure hors du commun avant de rentrer lui raconter pour l'amuser, il applaudit parce que William va aller jouer à la guerre. Il applaudit parce que William va bouillonner ailleurs à ne plus savoir qu'en faire lui qui déteste travailler à la boutique. Il applaudit dans le sobre mais riche salon vert. Jusqu'à ce que son père lui pose une main sur l'épaule. Les rires s'évanouissent dans sa gorge. Thomas tourne la tête vers lui quand le cercueil vide descend dans la terre. Les traits tirés de son père sont figés. Il ne lui rend pas son regard, il n'a d'yeux que pour le trou qui engloutit son aîné et boit son existence.

Ta mémoire dans l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant