MADAME K

Yaoundé, le 23 mars 20..

Ce matin,J'ai découvert en même temps que vous mon histoire dans le journal.

"Une professeure dépravée abuse de son jeune élève de dix-sept ans. Madame K a profité de l'autorité que lui conférait son statut d'enseignante pour contraindre le jeune Édouard à avoir des relations sexuelles avec elle, dans un motel glauque de Yaoundé 4ème".

Calomnies. Aucun de ces scribouillards n'a tenté d'obtenir ma version de l'histoire. Cela ne les intéresse pas. Du moment que ce gamin leur offre un scoop pour leur feuille de chou."Édouard est un adolescent qui a eu le malheur d'avoir madame K pour enseignante. La femme de trente ans, alors de douze ans son aînée et sa professeure de littérature, n'a pas hésité à lui faire des avances honteuses. Mais l'adolescent la repousse et subit à partir de ce moment un harcèlement soutenu. Courageux, il continue de résister mais il craque lorsque madame K excédée brandit finalement la menace des mauvaises notes. Le couple illégitime aura son premier rapport sexuel dans un motel glauque à la sortie de la ville. Le début d'une histoire sordide de trois mois, qui s'achève heureusement avec les révélations du pauvre garçon désespéré..."

Heureusement ce matin, quand le journal arrive, mon mari est déjà parti. Mais ce soir, je n'échapperai pas à l'orage. Comme le reste de la ville, il apprendra dans le journal, et en compagnie de ses collègues, la légèreté de sa femme qui a souillé son mariage dans les bras d'un jeunot à peine sorti de la puberté. Ma douleur n'est rien en comparaison de celle qu'il ressentira à ce moment-là. J'ai peur. Pour nous deux, ce soir, ce sera la fin. J'ai terminé de ranger ma valise. Je ferai tout aussi bien de partir maintenant, mais il mérite d'avoir cette confrontation. Il mérite des explications. Mais avant cet instant fatidique, c'est à vous que je dois ces explications. J'ai besoin que vous entendiez MA version de l'histoire.

Oui, j'ai couché avec un jeune homme très jeune qui finalement s'est révélé être aussi mon élève. Non, je ne l'ai pas manipulé. Oui, s'il y a une chose que je regrette, c'est qu'à présent ce garçon qui détruit ma vie uniquement par égoïsme ou par pure bêtise passe pour un saint aux yeux de tout le monde. Non, dans cette affaire sordide je ne suis pas la sorcière.

J'ai rencontré Édouard dans un atelier d'écriture que j'animais pour agrémenter mes vacances d'été. Il était un des participants et dès le début il se fit remarquer. Il manifestait un intérêt réel pour le roman contemporain, n'hésitant jamais à exposer ses idées et toujours ravi de partager ses écrits. Chaque fois que sa voix s'élevait pour une séance de lecture, j'étais charmée. Il avait le ton grave et suave, et maîtrisait parfaitement l'art d'animer le texte et de charmer le public. Je reconnais que parfois le soir, seule dans le salon tandis que mon mari dormait déjà, j'ai pensé à lui et rêvé que peut-être... Mais cela n'avait pas d'importance ; l'atelier s'achevait bientôt et ce gamin et moi retournerions à l'anonymat de nos vies. Trois jours avant la fin, alors que je rangeais mes affaires et que les participants avaient quitté la salle, j'entendis un chuchotement dans mon dos.

— Vous me plaisez.

Je demeurai interdite, subjuguée et apeurée à l'idée que mon fantasme devienne réalité. Je ne me retournai pas, il effleura mes doigts sur la table et continua.

— Je sais que cette attirance est réciproque. Pour m'en rendre compte, il m'a suffi d'observer vos réactions chaque fois que nos regards se sont croisés. Vous avez été ma source d'inspiration durant cet atelier et à présent qu'il s'achève, je refuse de vous laisser filer.