Chapitre 2

6 0 0
                                    

J-2007

Contrairement à ce que vous pourriez penser, ma vie n'a pas toujours été aussi âpre. Elle a d'ailleurs commencé plutôt tranquillement. Comme la plupart des gens, j'ai connu une belle et heureuse enfance – mis à part un ou deux évènements malheureusement tragiques – puis une adolescence d'épanouissement où je pus grandir physiquement et psychologiquement, avant d'enfin choisir la voie qui m'a finalement menée à qui je suis aujourd'hui.

Mon nom est Tessa Ilana Kaufmann. Premièrement, je suis consciente que Tessa n'a rien de juif, contrairement à Ilana qui signifie "arbre" en hébreu. La plupart des Tessas portent ce nom comme une abréviation de Theresa, mais ce n'est pas le cas pour moi : mes parents l'ont choisi en raison du mot grec dont il provenait, signifiant "moissonner, rassembler". C'est donc pour cela que je porte ces noms : Tessa pour être altruiste et rassembler les personnes autour de moi, et Ilana pour être forte et sage comme un arbre et ne jamais oublier mes racines.

Tout commença donc le 8 mai 2007, au St Thomas' Hospital, à Londres. Vous voyez, ce grande bâtiment cubique dont la structure mélangeant béton et verre se trouve sur la rive sud, juste à côté du Westminster Bridge et de la Tamise. Le fait d'être né le jour où l'armistice de la Seconde Guerre Mondiale a été signée n'aurait jamais vraiment eu d'importance pour la plupart des gens, mais pour mes parents, le reste de ma famille et moi-même, ça l'est. Les deux côtés de mon arbre généalogique possèdent, en effet, de profondes racines juives : le nom de famille de mon père est Kaufmann, et le nom de jeune fille de ma mère Freier.

Nos ancêtres étaient des Juifs ashkénazes qui avaient trouvé refuge à Cracovie, en Pologne, au 12ème siècle, où la communauté juive était assez importante à l'époque. Et je pense que les choses auraient continué ainsi – peut-être même que moi et mon frère serions nés, aurions été élevés et vécu toute notre vie là-bas – si nous n'avions pas connu l'une des heures les plus sombres de notre Histoire, connue par notre peuple sous le nom de Shoah, qui, en hébreu, signifie "catastrophe".

En 1933, Adolf Hitler gagna les élections en Allemagne, ce qui lui donna accès au rang de pouvoir le plus élevé de son pays, où il commença de suite à rependre sa nauséabonde doctrine antisémite. Comme mentionné auparavant, nos ancêtres avaient refusé de fuir l'endroit qui avait été leur maison lors des siècles précédents. Et de plus, similairement à de nombreuses autres familles à l'époque, ils ne possédaient qu'assez pour livre décemment, mais certainement pas assez pour fuir aux États-Unis où ils auraient pu vivre en sécurité.

Et j'imagine que l'Histoire a fait le reste : six ans après sa prise de pouvoir en Allemagne, Hitler envahit la Pologne et n'attendit guère pour mettre en marche son plan dont le but était d'anéantir notre "race" dite faible, comparée aux Aryens blonds aux yeux bleus qui nous étaient supérieurs – ce qui a toujours été une source de triste ironie pour moi, étant donné que ma mère, mon frère, mon grand-père et moi-même, ainsi que beaucoup d'autres avant nous, avaient toujours possédé ces quelques caractéristiques physiques.

Cracovie abritait l'un des plus grands ghettos du pays, où un tiers de ma famille mourut soit de maladie, soit d'une balle dans la tête. Le reste fut déporté à Auschwitz-Birkenau, en 1943, où un autre tiers périt soit à cause du travail plus que pénible, soit à cause de la meurtrière chaleur estivale ou le froid glacé hivernal, ou tout simplement à cause du terrible gaz Zyklon-B auxquels ils furent exposés dans les tristement célèbres chambres à gaz.

Après la guerre, les quelques membres encore en vie de ma famille partirent en Angleterre pour recommencer à zéro et trouver une vie meilleure, ce qui fut le cas. Comme un grand nombre d'individus ayant survécu à l'Holocauste, ils trouvèrent refuge dans un pays où leurs opinions religieuses étaient respectées et, moins d'un siècle plus tard, je continus à porter ce dur héritage, à la fois à travers ma croyance volontaire en Yahvé – mes parents ne nous ont jamais forcé dans la religion – et mon souvenir civique de ce qui était arrivé à cinq millions des nôtres. Mais cette idée de mémoire était également basée sur le présent et le vœu qu'on s'assure que rien de tel ne survienne à nouveau, et ce fut le cas... jusqu'à l'avènement de ce qu'on appelât le Jour-0 (ou J-0), le jour où notre pays recommença à zéro.

Vert, comme un uniforme militaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant