Coup de foudre

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Samedi, 22 h 50, je finis de me préparer dans ma loge, enfin disons plutôt dans le 4m² qui m'est réservé, et qui comprend seulement un miroir et une petite table où réside tout le maquillage nécessaire pour que je sois présentable. Dans dix minutes je vais monter sur scène. Aucun stress n'est présent pour me déconcentrer, je connais ma chorégraphie par cœur. En même temps qui oublierait quelque chose qu'il reproduit à l'identique chaque soir ? Pas moi en tout cas. J'enfile ma tenue de scène, je suis prête.
J'ai encore deux minutes devant moi, j'en profite pour regarder discrètement la salle et voit qu'elle est comble. Pas surprenant pour un samedi soir. Je regarde la scène et vois la petite nouvelle qui s'en sort plutôt bien. Elle n'est pas encore tout à fait à son aise devant les regards obscènes du public, pourtant cela fait bientôt un mois qu'elle nous a rejoints. Mais j'imagine que tout le monde n'a pas la même facilité à laisser derrière soi les vestiges de son innocence. Pourtant il va vite falloir qu'elle s'accoutume parce que bientôt les habitués vont s'attaquer à son enveloppe corporelle, et il faudra qu'elle se laisse faire, évidemment, si elle veut garder ce boulot. Ce n'est clairement pas le travail le plus reluisant ni le plus glorifiant, mais ça paie bien alors il faut savoir se départir de sa pudeur et tout roule.

Ça y est, c'est à moi. J'entends la musique qui résonne dans toute la salle, je connais chaque note de sa mélodie, et je cale chacun de mes pas dessus. Je fais fi de tous les regards posés sur moi, j'oublie que je suis une strip-teaseuse. J'oublie que je danse pour exciter des inconnus. Je me laisse emporter au gré des notes, je me sens virevolter, tourner, me déhancher. Je ne sais plus que je danse pour un public qui ne me quitte pas des yeux. Je sais juste que je danse, et que j'aime ça.
La musique se termine à peine que les applaudissements retentissent déjà. Maintenant que j'ai montré mes talents de danseuse, je dois laisser place à mes talents d'actrice et descends de la scène pour faire le tour près des clients. Si certains naïfs pensent que c'est pour recueillir leur avis, ce n'est en réalité que pour recevoir l'argent que l'on me donne avec entrain. Entrain expliqué bien sûr par le fait que l'argent est, la plupart du temps, glissé dans mes habits. Une fois le tour de la salle effectué, je reviens en loge mettre l'argent en sécurité dans mes affaires et découvrir la suite du programme.

Je constate que la soirée est loin d'être terminée puisque je dois faire une prestation en comité réduit pour un enterrement de vie de garçon, chose classique. Je me dirige donc vers une salle beaucoup plus petite que celle d'avant et aperçois six jeunes hommes qui ont l'air d'avoir la trentaine, âge typique du mariage. L'un d'entre eux est assis sur une chaise en plein milieu, il est vêtu d'un costard et a l'air un peu éméché. J'avance sensuellement en fixant celui que je devine être le futur marié. Lorsque j'arrive à son niveau, il fait tout son possible pour détourner son regard dumien et semble chercher de l'aide auprès de ses amis. Je ricane intérieurement. Encore un qui manque de caractère et qui s'est laissé convaincre pour le strip-tease alors que pour lui rien n'est plus important que la fidélité. Encore un qui pense que me regarder serait du manque de respect envers sa future femme. Mais encore un qui ne se pose aucunement la question de savoir ce que serait l'attitude à avoir pour me montrer du respect à moi et à ma prestation.
Je commence doucement en jouant avec sa cravate et en la retirant lentement. Je le vois se crisper à mon contact et je soupire intérieurement. Rien n'est plus agaçant et ennuyeux que de faire un strip-tease à quelqu'un qui est réticent de gêne. Je continue malgré tout puisque, de toute manière, je suis payée pour ça. Mais en le voyant de plus en plus tendu au fur et à mesure de l'avancée de mon show, je décide de le laisser un peu tranquille et d'aller m'occuper de ses petits amis. Après tout il sera sûrement soulagé que je le délaisse, et puis ses amis qui lui ont payé mes services ont bien le droit à un peu d'attention aussi.
Je m'attaque au premier à sa droite qui se tend également quand je m'approche de lui et qui ne semble pas plus emballé que ça à ce que je vienne vers lui. J'enchaîne avec le deuxième qui, lui, est trop réceptif à mon goût et commence à me toucher un peu partout. Je ne reste pas longtemps auprès de lui et passe au troisième qui me laisse faire avec un grand sourire, sûrement le client le plus appréciable de tous pour l'instant. Quand j'avance vers le quatrième, je remarque qu'il ne me regarde pas et qu'il semble demander au futur marié s'il veut continuer l'expérience ou pas. Je me place entre les deux afin de couper leur échange visuel et attire le regard du quatrième sur moi. Et alors je me pétrifie, des yeux bleus d'une intensité sans pareille me scrutent et me font perdre pied. Pendant une seconde je perds tous mes repères, je ne sais plus où je suis ni qui je suis. Je vois seulement ses yeux. Puis mon cerveau reconnecte tous mes neurones entre eux et je me rappelle que je suis au boulot. Je me souviens que si je veux avoir ma paye à la fin du mois il faut que je finisse ma prestation. Alors je détourne le regard afin de reprendre mes esprits, je regarde le futur marié qui me regarde déjà et qui semble prier pour que je ne revienne pas trop vite vers lui. Je me reconcentre et décide de faire abstraction de son regard, je commence à m'asseoir sur lui et m'apprête à faire mon numéro comme je viens de le faire sur tous les autres mais suis une nouvelle fois happée par ses yeux.
J'entends et je sens les battements de mon cœur s'accélérer, mes poils se hérissent partout sur ma peau. Je le sens se raidir et sa respiration se coupe quand j'approche mon visage du sien. Je fais glisser mes mains sur son torse comme je l'ai fait sur des centaines d'autres hommes auparavant, mais contrairement à d'habitude je ne le fais pas uniquement pour le travail. Je le fais parce que j'aime sentir ses muscles à travers sa chemise et que je ressens comme un besoin impératif et primitif de le toucher, d'être en contact avec son corps. Alors que je colle ma poitrine contre son torse, je vois au fond de la salle que le temps passe plus vite que je ne le pensais et qu'il va falloir que je retourne m'occuper du futur marié pour finir ma prestation en temps et en heure et éviter de me faire taper sur les doigts par le boss.
Je rassemble toute la motivation dont je suis capable et me détache de lui. Je me force à détourner le regard pour ne pas être trop tentée de retourner auprès de lui. Je vais vers le futur marié et m'assois sur lui pour lui retirer sa chemise. Chaque bouton que je lui retire semble augmenter son malaise, tandis que je dois me forcer à me concentrer pour ne pas retourner vers l'inconnu et lui retirer sa chemise à lui. Je m'oblige à rester focalisée sur le futur marié alors que tout mon corps semble être attiré par un autre dont je sens le regard me transpercer. Je lutte contre moi-même pour ne pas me retourner et me plonger à nouveau dans ses yeux. Je me recentre sur mon travail et sur le temps qu'il me reste pour finir correctement et essayer de laisser un semblant de bon souvenir au futur marié à propos de cette expérience.

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