Quand le 3e confinement a été annoncé, j'ai pas envie de la voir.
J'ai eu envie de partir loin d'elle, elle qui était toujours accrochée à moi. On m'a enfermée avec elle. Sa présence était lourde, pesante.
J'ai pourtant essayé de ne pas penser à elle. Être dans une autre pièce peut-être ? Impossible. Elle me suivait à la trace, comme mon ombre.
J'ai éteins la lumière pour ne plus la voir. Ça l'a rendu encore plus forte. Elle venait et se collait à moi, m'entourant de ses bras étouffants.
J'ai essayé de m'y faire. De me laisser emporter par ce visage. Il ressemblait au mien. Ou plutôt il empruntait mon apparence. C'était réconfortant au début, de n'être qu'avec elle et de prendre soin d'elle pour commencer de nouvelles choses. Alors j'ai continué. Je découvrais de nouvelles activités avec elle, de nouveaux loisirs. Ce confinement ne me paraissait pas si long.
Mince. Qu'une seule semaine est passée. Je ne pensais pas que le confinement allait durer si longtemps, et que ce serait insoutenable. Je me lassais d'elle. Mais je n'avais qu'elle. J'ai réfléchi. Comment me séparer d'elle, alors qu'elle est si jalouse et possessive ?
J'ai pris une carte postale, et j'ai écrit quelque chose de bateau : "Salut, on se connaît pas mais que dis-tu de se découvrir à travers des lettres ? C'est peut-être une bonne chose pendant le confinement ?".Quelqu'un frappe à la porte. Mais elle n'a pas l'air perturbée. Je me lève et vais lui ouvrir. Ah, lui. Je ne l'avais pas oublié non plus. Je ne pensais pas le revoir d'aussitôt, mais ils vont bien ensemble. Il force le passage et vient lire la lettre postale sur mon bureau. Il se relève et me regarde ensuite, de ses yeux vides.
Il me juge. Il n'aime pas. Mais qu'est-ce que je dois faire ? Tout recommencer ? Ne jamais l'envoyer ? Pourquoi me fait-il autant douter de cette lettre ?Je lui lance un regard froid. Non, je ne le laisserai pas gagner. Je prends cette lettre et fonce vers mon hall d'entrée d'immeuble. Les deux se lèvent et me suivent. Mince, j'aurai préféré qu'ils restent à l'appartement. C'est pas comme si je pouvais les empêcher de me suivre.
Une fois devant les boîtes aux lettres, il me prends la lettre de mains. Il tente de la déchirer, mais je lui reprends avant et la plaque sur moi. Elle m'enlace et m'étouffe. Puis je vois un nom sur une boîte aux lettres. Un nom qui sonne jeune, ça me rassure. Je tente de mettre tant bien que mal ma lettre dans cette boîte verte. Il se met devant, et m'en empêche.
Alors je le regarde intensément, et je lui fait comprendre qu'il doit partir. Et d'un coup, pouf. Il s'évapore. Devant moi. Il n'existe plus. La lettre dans la boîte, je repars, et dis au revoir à Timide.Elle, elle reste. Elle me raccompagne. Je referme la porte derrière elle, et on va s'asseoir ensemble dans le canapé. La disparition de Timide est une chose, mais elle prends maintenant toute la place, comme si elle avait grandit, grossit. Je commence à croire qu'elle ne disparaîtra jamais. Elle qui est venue s'installer pendant le 1er confinement, elle ne m'a plus quitté. C'était pourtant il y a un an. Le temps passe lentement ou vite, je ne sais plus, mais j'ai l'impression d'avoir toujours vécu avec elle. Je m'endors dans ses bras, dans sa couverture, sur son oreiller.
Le soleil vient se poser sur mon visage et me réveille. Mes yeux encore plissés, je constate qu'elle est bien réveillée. Est-ce qu'au moins elle dort ?
Je me relève et me prépare un café. J'évite de lui en faire un aussi, ça pourrait empirer son cas. Je le bois, m'habille, et je descend dans mon hall. Mon jogging gratte, mais elle le trouve joli. C'est pas comme si elle avait quelque chose à faire de mon apparence. Elle se poste derrière moi comme à son habitude lorsque j'ouvre ma boîte aux lettres.Surprise, une lettre. Une belle lettre, sans tampon. Est-ce qu'on m'aurait répondu ? Je me retourne vers elle, qui rétrécit. Jusqu'à devenir toute petite. Contrairement à Timide, elle ne disparaît pas. Je monte en courant jusqu'à mon appartement, m'empare de mon ouvre-lettre, et je ressors la lettre.
J'ai bien une correspondance, c'est ma réponse que j'attendais.
"Salut ! Je ne te connais que de nom, mais je suis d'accord pour cette expérience ! Nos confinements n'en seront que meilleurs ! Raconte moi un peu qui tu es, ce que tu fais dans la vie ! Je suis très heureux de te rencontrer !
À bientôt !"À bientôt ? C'est à dire... Qu'il veut que je lui réponde ? Alors ça y est ? Des larmes de joie coulent sur mes joues, pendant que je me retourne et la cherche.
Et d'un coup, pouf. Elle s'évapore. Devant moi, elle n'existe plus. La lettre dans la main, je souris, et dis au revoir à Solitude.
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Elle
Short StoryParticipation de Juliette Ballesteros au concours organisé par la bibliothèque de Gilly sur Isère. Thème : Écrit un faux journal intime de ton confinement avec la suggestion automatique ! Finis la phrase "Quand le 3e confinement a été annoncé, j'ai...