Je reprends conscience dans ma chambre d'hôtel et ouvre les yeux à cause de la luminosité. Les rideaux sont ouverts, laissant passer le soleil de la Sicile, et il me faut quelques secondes pour m'adapter et ouvrir complètement les paupières. Assis à côté de la fenêtre sur une chaise se trouve Thaddeus, les bras croisés. Quand enfin il s'aperçoit que je suis réveillée, il décroise les bras et se saisit de son téléphone pour pianoter dessus ; je le regarde faire, déboussolée. Je n'ai aucun souvenir d'être revenue à mon hôtel hier soir, je n'ai aucun souvenir de m'être mise en pyjama et de m'être couchée, et surtout, la présence de Di Casiraghi ici met met dans une rage froide que j'essaie de ne pas laisser transparaitre. Au bout d'un long silence durant lequel il se lance dans l'intense contemplation de ma chambre, je me décide à dire quelque chose.
- Partez.
- Je ne peut pas. Je suis obligé d'attendre Aderholt avec toi.
- Rien ne vous retiens, pourquoi soudainement vous obéissez aux ordres de quelqu'un ? je siffle.
Il tourne la tête et ses yeux fixent mon visage.
- Parce que j'ai de la pitié pour toi.
Mon égo en prend un coup. La pitié, c'est comme un parfum qui vous monte trop vite à la tête ; on s'en rend pas compte au début, puis ça donne mal à la tête, c'est insupportable, ça vous colle à la peau et il faut que ça s'arrête. Au cours de ma vie, beaucoup de gens ont eu de la pitié pour moi. Quand j'étais petite et que ma maitresse voyait la nourrice de l'orphelinat venir me prendre à la sortie de l'école. Quand on a tenté de m'assassiner et que je suis arrivée à l'hôpital avec une côte explosée et un poumon déchiqueté. Quand ma tante est morte et que je me suis retrouvée orpheline pour la deuxième fois de ma vie. Quand je suis arrivée à Palerme pour ce plan délirant, aussi. Bref, j'en connais un rayon sur la pitié ; et la sienne, je n'en veux pas.
- Partez, je répète.
- Tu te souviens de quoi, hier soir ? questionne t-il calmement.
Je me redresse dans le lit, déjà vidée de toutes mes forces et en essayant de rassembler mes neurones. Mais je n'en ai pas besoin, parce que déjà devant mes yeux ressurgissent les souvenirs ( et pas des plus agréables ) de cette soirée calamiteuse. La rage, cette fois, n'est plus froide et je n'hésite pas une seconde à la laisser s'exprimer.
- De Leo, de Giovanni, et de toi qui menace encore, je siffle. Partez.
- Tu ne te souviens pas de t'être évanouie ?
- Si.
Bien sûr si, je m'en souviens. Il me prend pour une idiote ou quoi ? J'ai souffert le martyr et je peux d'ailleurs presque me remémorer la douleur cuisante dans ma cage thoracique. Et même si je n'ai aucun souvenir d'être retournée à mon hôtel par le biais d'une quelconque voiture, je sais très bien ce qui m'est arrivée il y a quelques heures.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Rien, je dis entre mes dents.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? répète t-il plus lentement.
Après ce qu'il s'est passé hier dans le couloir, lorsqu'il m'a mis le canon de son Beretta dans la bouche, je n'ai plus trop envie d'être insolente. Je sais qu'il faut que je me préserve, comme me l'a demandé le psychiatre, quitte à changer et à être bien docile, car la fierté, c'est quelque chose, mais la santé mentale, c'est encore plus important.
- J'ai eu une crise somatique, rien de grave. Maintenant partez, je vais attendre le docteur Aderholt toute seule.
Il se tait, puis décroise les bras afin de rejeter un appel sur son téléphone.
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ULTRAVIOLENCE
RomanceViolence vit recluse à Carthage depuis trois ans, préparant le jour où elle ira à Palerme pour chercher des explications. Et ce jour est enfin venu. Thaddeus n'est pas le genre d'homme qui transpire la sécurité, la bienveillance ou l'amour. Plutôt...