Un pas vers le passé

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    La lune, en croissant, lumineuse, radiante, primait sur la chaussée. Il n'y avait que peu d'âmes à l'orée de l'aube, quelques carcasses désarticulées déambulant les bras branlants, les jambes chancelantes. Les paumes l'une contre l'autre, la chaleur de ses soupirs répétés ravivaient ses doigts engourdis. Elle était adossée à la façade d'une boutique désuète, peut-être même fermée compte tenu des vitres encrassées. Assise sur le haut de sa valise, les petons à peine touchant le pavement, seul le bout des semelles venait frôler le sol quand elle balançait vigoureusement ses jambes. En face d'elle, l'horloge d'une église lui indiquait qu'il ne restait plus qu'une vingtaine de minutes avant l'arrivée du premier bus. Elle était arrivée à Harsburdow il n'y a même pas vingt-quatre heures, avait pourtant prévu de rester plus longtemps. S'était résignée, quand tout ce qu'il y avait autour d'elle n'était que souvenirs immémorés. « Tu te souviendras peut-être lorsque tu flâneras dans les allées. Tu verras sûrement le restaurant de glaces, où vous veniez presque quotidiennement ! Tu pourras même goûter le mélange pistache et caramel beurre salé que ton père a-do-rait ! »

    Rien. Les seuls souvenirs restants étaient ceux qui commençaient à l'âge de sept ans, à l'autre bout du pays avec Auntie Poppy. Cette dernière n'était pas qu'une figure maternelle, elle était aussi cette femme forte, indépendante, clamant haut et fort que sa solitude avait été choisie, embrassée par ses bras esseulés. Elle n'avait pas le temps pour les batifolages, comme elle aimait le souligner. « Qui s'occupera de toi si je suis prise par un incapable à la recherche d'une deuxième mère plus que d'une épouse ? », ce à quoi on ne trouvait finalement qu'à sourire en guise de réponse, un sourire reconnaissant mais aussi compatissant quand on comprenait d'où venait Poppy. La vie n'avait pas été tendre avec elle, et elle s'était battue pour se libérer d'astreintes accablantes.

    Elle secoua la tête, comme pour échapper à une nostalgie manquée, à des moments regrettés. Elle s'en mordait les doigts, d'avoir fait toute cette route pour rebrousser chemin à la première occasion. Une occasion qu'elle attendait de pied ferme, et qui semblait ne pas vouloir être à l'heure.
    — Le retard des bus, c'est vraiment universel.
Elle se laissa glisser de son siège pour retrouver pied sur les pavés. Une voix vibrante vint percer l'air, s'imposant avec un timbre grave mais suave.
    — Il passera pas.
    Là où il y avait autrefois la lueur d'un lampadaire éclairant la chaussée, se tenait une ombre immobile. En relevant le menton, la mâchoire serrée et les sourcils froncés comme bouclier inscrit sur les traits, elle déglutit sans piper mot.
    — J'veux dire, le bus. Il passera pas.

    L'homme jouait avec une cigarette éteinte et inutilisée, la faisant machinalement tournoyer entre son index et son majeur. Elle le toisait. Son regard se posait sur chacune des caractéristiques de son visage, considérait les marques du temps, ces empreintes indélébiles sources d'histoires. Elle plongea sa main dans la poche arrière de son pantalon, en sortit un briquet qu'elle lui tendit.
    — Je suppose que vous en avez besoin ?
    Il haussa un sourcil, métamorphosant chaque traits de son visage dans une interrogation flagrante.
    — La cigarette, dans votre main.
    Cette même main qu'il vint porter devant ses yeux, il finit par sourire.
    — Ah... Une habitude, une mauvaise habitude, avouons-le. J'ai arrêté de fumer, enfin, j'essaie. D'en être moins dépendant.
    Elle hocha la tête, rangea le briquet.
    — Vous essayez, mais vous avez toujours un paquet pas loin ? Difficile, de bien faire quand la source même de la dépendance se trouve littéralement sur vous, monsieur... ?
    La phrase resta suspendue aux lippes qu'un instant, avant qu'il ne lui donne réponse.

    — Adam. Pas besoin de fioritures. Adam suffit, mademoiselle... ?
    Elle lui offrit sa main pour se présenter, attendit qu'il l'attrape avant de continuer.
    — Mina. Pas besoin de fioritures. Mina suffit, fit-elle dans une médiocre imitation, la malice aux lèvres et dans les yeux.
    Lui, laissa échapper un léger rire, spontané et sincère. Mina... La Mina ?

That Quirky Thing Called Love Où les histoires vivent. Découvrez maintenant