J'expire.
Ce n'est jamais anodin de prendre des drogues, quelles qu'elles soient, pour quelque usage qu'on en fera. Mais qu'il me dise en se tenant bien droit que c'est pour le calmer et pour se maîtriser... Ça veut dire que la brutalité qui émane de lui, les instincts de destruction qu'il a, la mort et la violence dont il a envie, ne sont pas maîtrisables sans. Ou qu'ils sont trop forts et qu'il sait qu'il ne doit pas franchir la ligne parce qu'on doit d'abbord interroger Corelli. Dans les deux cas, ça craint, et ça me fait peur de voir que l'animosité de cet homme doit être contrôlée par de l'opium, auquel cas il risquerait de tout dévaster sur son passage. Mais l'instant qui était suspendu se termine très vite et je reprend pied avec la réalité quand je vois par la fenêtre des soldats amener des caisses de matériel. Il est temps d'y aller. Je suis Di Casiraghi dehors, et nous descendons les marches du perron pour nous diriger en silence vers l'entrepôt, le stress monte en moi car je vais enfin pouvoir confronter l'homme qui a tenté de me tuer il y a bientôt six ans. Et je n'aurais qu'une seule chance, qu'une seule opportunité : si je me rate, c'est fini. Arrivés devant l'entrepôt, la porte est ouverte et le patron s'arrête devant alors que des soldats font des allées et des venues de l'extérieur à l'intérieur sans s'arrêter.
- Tu est prête ?
- Oui, je dis.
Nous sommes escortés par un autre soldats dans l'entrepôt. A l'intérieur, c'est le branle-bas de combat. Il y a du matériel partout ; des cordes, des armes blanches, des fusils d'assaut, des munitions, des casques, des outils tels que des marteaux et des pioches, des trucs médicaux à n'en plus voir la fin, des objets que je ne reconnais même pas. L'entrepôt sent comme dans mon souvenir le renfermé, l'humidité, la terre et le sang. Les murs et le toit en tôle accentuent la chaleur étouffante. Et au milieu de l'immense endroit, assis sur une chaise, se trouve le traître. Nous nous arrêtons à une dizaine de mètres de lui pour l'observer. Il a l'air en colère, il est attaché à la chaise par des cordes, des chaines et des menottes, il est plein de suie et est pointé en permanence par six soldats. Corelli a la tête baissée et ne nous a pas vu arriver, mais à côté de moi, Thaddeus a le regard pointé sur lui comme le viseur d'un sniper. Ce que je lis dans son regard me donne la nausée et j'inspire à fond pour réprimer un haut-le-coeur. Il lui faut d'ailleurs un moment pour se canaliser et il ressort de l'entrepôt. Seule entourée de criminels en tout genre, je ne peux m'empêcher de me dire que c'est bien réel. Di Casiraghi revient quelques secondes plus tard, et si je peux toujours sentir la haine qui transpire de chacun de ses souffles, j'ai l'impression qu'il a remis un nouveau masque. Il se penche d'ailleurs et attrape par terre un gilet pare-balle qu'il me donne.
- C'est au cas où il y aurait une fusillade.
Je hoche faiblement la tête.
- Met-le.
Il y a un moment de flottement durant lequel nous sommes face à face, en train de mettre notre gilet, et nos regards se croisent lorsque l'on scratche les sangles. L'instant est étrange. Je repousse chaque pensée et chaque émotion qui ne concerne pas Corelli pour me couper d'absolument tout : il faut que ma concentration soit maximale pour que je ne flanche pas, que je trouve les bons mots, que je comprenne, que j'y arrive. Un soldat apporte un espèce de plateau sur lequel se trouve plusieurs armes, mais Thaddeus lui dit en italien qu'il fera ça plus tard. Puis lorsque nous sommes tous les deux prêts physiquement à affronter tout cela, nous échangeons un dernier regard avant de nous tourner vers le traitre et de marcher vers lui. J'ai le coeur qui bat un peu trop fort et me force à maitriser mon souffle pour gagner en confiance.
- Lève la tête.
A ces mots, l'homme assis sur la chaise s'exécute et affronte le visage de Di Casiraghi. Durant quelques secondes, ils se toisent et je vois les muscles du cou du patron se tendre sous la haine que je me doute qu'il est en train de ressentir. En face, les yeux injectés de sang de Corelli traduisent la même chose. Sentant que si je ne brise pas cette étreinte mortelle entre les deux hommes cela va mal finir, je fais un pas vers la chaise et l'attention du prisonnier se concentre sur moi. Il me fixe à nouveau, comme tout à l'heure, et je ne cède pas sous ses yeux bleus.
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ULTRAVIOLENCE
RomanceViolence vit recluse à Carthage depuis trois ans, préparant le jour où elle ira à Palerme pour chercher des explications. Et ce jour est enfin venu. Thaddeus n'est pas le genre d'homme qui transpire la sécurité, la bienveillance ou l'amour. Plutôt...