Inconsciente, j'appelle ma sœur mais ne réussit pas à l'apercevoir. Mon esprit la cherche en vain dans les méandres de mes souvenirs traumatisés jusqu'à m'ordonner de la trouver en vrai.
Autour de moi une bulle, un cocon où tout n'est que douleur. Cette image paraît même trop douce. Chaque parcelle de mon corps est douloureuse.
Ce détail me fait comprendre que je ne suis pas morte : si je peux ressentir quelque chose, alors je suis vivante.
Théoriquement.
J'ai malgré tout un doute lorsque j'ouvre les yeux et que tout m'apparaît blanc. Sur le coup, je ne peux même pas les ouvrir entièrement car la luminosité me brûle l'intérieur du crâne. Bien que pour moi « l'enfer » et le « paradis » appartiennent à un domaine auquel je n'adhère pas, je ne peux me retenir d'exprimer à haute voix une certaine crainte empreinte de stupéfaction :
- Où ...
... est-ce que je suis ? Si je n'arrive pas à prononcer la question, je ne suis pas près d'avoir une réponse.
Je peine à reprendre totalement mes esprits et divague cruellement. Ma gorge sèche me fait souffrir quand j'essaie de parler. Quelque chose ne va pas : je ne peux même pas bouger la tête, je sens mon cou immobilisé. Je suis coincée à l'intérieur de quelque chose ! Je commence à m'agiter, sous la panique que me provoque cette paralysie forcée.
Soudain, j'entends une voix qui parvient à percer l'hébétude qui me voile l'esprit.
- Tu es à l'hôpital.
Je suis encore trop ankylosée pour sursauter. Si je m'attendais finalement à avoir une réponse !
Je tente de tourner la tête vers l'origine de la voix mais n'y arrive pas. Cela me fait mal et forcer me déchire de douleur. Je peux seulement bouger mes yeux.
La voix venait d'en face, légèrement sur la droite. Mes yeux s'agrandissent de stupeur.
Assis sur un fauteuil, un homme inconnu me regarde. Il me semble l'avoir déjà vu pourtant...
Il a des cheveux bruns, coupés courts et en bataille, couverts de saletés. Deux billes brunes profondes et brillantes d'une intelligence manifeste lui font offices d'yeux. Il doit avoir plus de la trentaine mais une étrange étincèle traverse son regard et électrise mes nerfs endormis : son charme ; bien qu'il soit sale de la tête au pied.
Tout me revient d'un coup et je préfèrerais être morte plutôt que de croire ce qu'il m'est arrivé. Je ne veux pas. Ça ne se peut pas.
L'homme qui m'a sauvé des flammes est visiblement toujours noir de suie et son t-shirt, qui devait probablement être rouge à l'origine, est maintenant noirci par le charbon. Un trou béant effile le tissu calciné au niveau de son épaule droite. A travers ce trou, je peux voir une compresse pansant son épaule.
D'un air désinvolte, mon sauveur désigne mon visage d'un index rendu inséparable du majeur par un bandage : je peux voir dépasser deux petits bouts de doigts.
- C'est pour moi, ce regard ahuri ... ?
Je ne peux m'empêcher de le fixer ainsi. J'ai les yeux écarquillés comme un hibou. En réalité, je ne saurai dire si je suis stupéfaite ou effrayée.
Malgré son air ironique, l'homme est assis au bord du fauteuil, les coudes sur les genoux et, jusqu'à présent, son menton reposait entre ses mains. Il attendait. Une attitude qui trahit son inquiétude.
- Qui êtes...
...vous ? Ma voix roque me racle la gorge et je pars en quinte de toux, n'arrivant pas au bout de ma question. Sans vraiment le vouloir, j'ai utilisé un ton qui se voulait brusque.
Les sourcils froncés et l'air méfiant, je suis sur la défensive avec une voix des plus enrouées : celle-ci donnant l'équivalant approximatif d'un aboiement de rottweiler.
Je suis sans possibilité de défense, impuissante, encore vidée de mes forces, incapable de bouger ni même d'appeler à l'aide dans un lit d'hôpital, alors ce ton défensif m'est venu instinctivement.
Toute la confiance que j'ai ressentie lorsqu'il m'a sauvé se voit aspirée par la peur de me retrouver dans un lieu inconnu avec pour seule compagnie un inconnu.
Je ressens immédiatement la désagréable impression d'un épais mystère autour de lui. Il ne s'est même pas présenté.
Je suis troublée et perdue. Pourquoi cet homme est-il ici ? Comment se trouvait-il là-bas ? Qu'est-ce qu'il attend ? Et voilà, à force de trop réfléchir, je découvre qu'un mal s'intensifie dans ma boîte crânienne. L'homme se redresse.
- Un « merci » aurait suffi mais je m'en contenterai, déclare-t-il avec nonchalance, laissant toutefois percevoir un demi-sourire.
Puis il se lève. Calmement.
J'aimerai lui dire « Attendez ! Vous ne pouvez pas vous en aller comme ça ! » et je me demande bien ce qui me fait ressentir le besoin de demander à un inconnu de rester auprès de moi. Mais après avoir ouvert la bouche, je la referme et le regarde, ne sachant comment organiser tous les questionnements qui m'assaillent et sachant pertinemment qu'aucun son clair ne peut sortir de ma gorge endolorie.
Il se frotte le front de son pouce, apparemment en intense réflexion, ou gêné par la situation, ou bien les deux. Il hésite. Je crois qu'il cherche ses mots.
J'attends, cherchant les miens et le fixant toujours. Il évite mon regard.
- Je voulais juste m'assurer que tu allais bien... Alors je vais...
Il fait un geste du pouce pour désigner la porte. En évitant toujours mon regard, il se dirige vers celle-ci.
Soudain je force ma voix, je ne peux pas le laisser partir ainsi.
- Attendez ! l'interpellai-je.
Un « a » indistinct et des syllabes d'une imperceptible distinction. C'est inutile que je tente de parler avec un truc pareil !
Mon exclamation est vaine : faisant la sourde oreille, il m'a déjà tourné le dos, sa main reposant sur la poignée. J'ai tant de questions ! La porte s'ouvre. Il ne peut pas partir tout de suite !
Sachant que j'ai un nombre très restreint de syllabes prononçables dans cet état, je choisis les mots qui forment ma prochaine question avec attention.
- Votre nom ? tentai-je de lui demander.
Ma voix déraille à nouveau. Les battements de mon cœur accélèrent quand j'essaie de me redresser. De plus, je ne peux pas tourner mon cou immobilisé. Il faut que je le retienne mais j'en suis incapable, j'ai vraiment mal partout. Il passe la porte.
- Merci ! lançai-je en tentant désespérément d'être compréhensible.
Trop tard, il a refermé la porte derrière lui et disparaît dans le couloir, d'un pas rapide et sans se retourner. Je me laisse totalement tomber au fond de mon lit, grimaçant de douleur et referme les yeux pour accuser le coup.
C'est allé trop vite. Je soupire, essayant de calmer tout mon corps que je viens de mettre à rude épreuve, dès mon réveil. Je pense à la cause de ma présence ici, de toutes ces questions sans réponses que mon esprit a déjà pu amasser en seulement quelques secondes.
Qu'est-ce qu'on va devenir ?
J'ai l'impression qu'avec cette maison, toute ma vie est partie en fumée. Avec Soleïane, tout ce qu'on avait rassemblé pour nous construire une vie heureuse était lié à cette maison, à Thérèse. Maintenant... Maintenant nous allons recommencer à aller de famille d'accueil en famille d'accueil.
Pour le moment, je dois savoir si ma sœur est encore en vie ! Mon cœur se serre, affolé et les larmes me montent aux yeux. Je force mes paupières à demeurer fermées en espérant que cela passe.
Je parviens à peine à retenir mes pleurs. C'est trop dur...
Imprimée sous mes paupières, je vois l'image de Thérèse allongée sur le sol, du sang se répandant autour de sa tête. Je vois Georges essayant de m'étrangler.
Ce souvenir m'horrifie. J'ouvre les yeux. Une femme passe la porte.
[Image par Cor Gaasbeek de Pixabay]
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Enfants des Astres-Livre I : Nomen Omen
WeerwolfAprès l'incendie criminel qui coûte la vie à leur tutrice, Luna et sa jumelle Soleïane doivent faire face à un traumatisme aux étranges conséquences. A l'hôpital, Luna accumule les songes qui hantent son sommeil ; Soleïane, elle, ne semble pas voulo...