Son réveil sonne.
Il est 6h30 du matin.Elle doit aller au lycée.
Elle a la flemme d'aller au lycée.Elle doit se lever.
Elle a la flemme de se lever.
Elle se résout à le faire quand même, en roulant sur son lit.Elle trébuche sur des trucs étalés sur le sol de sa chambre mais manque de tomber.
Classique.
Elle s'appelle Marionne. Il n'y a pas de faute d'orthographe dans son prénom. Et aujourd'hui, c'est son anniversaire. Son dix-huitième anniversaire.
Marionne sait que l'on va le lui souhaiter toute la journée. Même les gens qui ne lui ont jamais adressé la parole vont s'y mettre. Parce que c'est vrai quoi, dix-huit piges ça se fête.
Pendant de longues minutes, elle se fixe à travers le miroir dans l'attente qu'un évènement se produise. Pourtant, elle ne se sent pas marquée d'un changement particulier, ni frappée par la maturité, ni happée par une envie irrépressible de voter ou d'aller en boîte. Ce jour n'a pas l'air très différent de celui de la veille. Elle se sent empreinte de sa mollesse habituelle, la vie a l'air d'avoir conservé la même saveur.
C'était stupide de toute manière. Evidemment que personne ne change du jour au lendemain.
Soupir.
Marionne ne s'attendait pas à quelque chose de fou ou d'extraordinaire mais la culture, la télévision, la société et tout, lui ont fait espérer mieux. Alors, malgré tout, elle est déçue. En même temps, se taper plus d'obligations et de responsabilités sur le dos ne pouvait pas être bien folichon.
Est-ce que la vie est si nulle qu'on n'en vient à célébrer ce genre de chose ? Sérieusement...
Marionne n'est pas une rabat joie qui voit la vie tout en noire, mais juste, elle est une fois de plus fatiguée ce matin. Aller en cours n'était pas suffisamment fastidieux ? Serait-elle vraiment obligée de dire merci à des lycéens toute la journée et à balancer quarante milles sourires forcés à tout va ? Oui.
Et puis elle ne peut s'empêcher de remarquer que le choix de ce nombre, dix-huit, est un peu saugrenu. Enfin, quitte à être à deux pas du vingt, autant attendre jusqu'à vingt : un joli nombre rond, concis et percutant. Fêter sa deuxième décennie, ça sonne nettement mieux qu'un nombre aussi arbitraire que le dix-huit.
Dix-huit ans.
Comment a-t-on pu la forcer à mettre le bout de son nez sur cette planète aussi longtemps, quand elle, elle n'avait rien demandé ? Et Marionne se demande ce qu'elle y a foutu durant cette éternité passée en une demi seconde.
À cette pensée, le léger frisson qu'elle ressent est assez inhabituel, secouant. Elle pourrait l'ignorer, elle adore ignorer les trucs ignorables. Et elle a horreur des questions existentielles qui assassinent n'importe qui à coup de frustration.
Mais pour une fois, elle veut y réfléchir un tout petit peu, mettre deux secondes la paresse et la facilité de côté, pour repenser son existence tout entière et lui apporter un grain de sens.
Alors verdict : bah pas grand-chose.
C'est décevant, n'est ce pas ?
Mais loin d'être étonnant, en fait c'est presque logique. Elle a fait des trucs, et d'autres, et elle a surtout passé tout son temps assise sur les chaises de l'école. Alors voilà où elle en est aujourd'hui.
Marionne est née, elle a grandi et, dans un flou frustrant, elle se souvient que depuis petite jusqu'à la moitié du collège, peut-être, elle ne tenait pas en place, presque hyperactive. Elle aimait danser, chanter, jouer, faire du sport, faire le pitre, dessiner, lire, s'imaginer faire tous les métiers du monde, elle aimait n'importe quoi, n'importe qui et la vie n'était rien d'autre que rigolade. Elle aime toujours ça mais disons que ces plaisirs sont à la dernière place sur la liste des priorités.
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La Tragédie des 18 ans
Short StoryMarionne se lève. Marionne a cours. Marionne n'est pas au top de sa forme. Elle est déprimée, découragée. Et ah oui...c'est aussi son anniversaire. Ses 18 ans.